Le corps noir
et la catastrophe ultraviolette
3 JANVIER 2025
Table des matières
L’énergie du point zéro est la plus faible énergie possible qu’un système quantique puisse avoir [1]. Indispensable pour expliquer la plupart des phénomènes quantiques, elle représente l’état fondamental des systèmes. Elle n’est cependant pas perceptible à notre échelle car elle n’est pas constante et infinie dans l’espace, elle décroît. Par quel mécanisme décroît-elle entre l’échelle quantique et l’échelle cosmologique ? Telle est la question qui a inspiré le papier publié en septembre 2023 par Nassim Haramein, Cyprien Guermonprez et Olivier Alirol.
Dans cette publication, intitulée L’origine de la masse et la nature de la gravité, les trois physiciens étendent le modèle du proton [2] à l’échelle cosmologique, afin d’établir un modèle de création de la masse et des forces, ainsi que leur mécanique. Ils démontrent ainsi que la masse – et donc l’énergie [3] – sont des propriétés émergentes de la dynamique fondamentale de l’espace à l’échelle quantique ; cette énergie décroît ensuite par un mécanisme d’écrantage jusqu’à l’échelle cosmologique.
Cette série d’articles envisage de vulgariser les concepts mis en avant dans leur approche (pour les équations, je vous renvoie directement au papier en question ;)). Voyons tout d’abord comment ont été découverts le champ du vide et l’énergie du point 0. Tout a commencé vers 1900, avec Max Planck et le corps noir…
Découverte du champ du vide et de l’énergie du point 0

Au début des années 1900, le physicien allemand Max Planck cherche à avoir une description formelle du spectre électromagnétique. Il étudie alors le signal restitué par le corps noir ; « l’objectif est de comprendre, d’un point de vue thermodynamique, les mécanismes d’absorption et de rayonnement de fréquence électromagnétique ν d’un corps noir maintenu à une température constante T » [4]. Ses travaux le conduisent finalement à recueillir des informations sur la structure de la matière et l’énergie interne des atomes – qu’il décrit comme des cavités d’oscillateurs harmoniques – en lien avec l’énergie du point 0. Voyons tout cela en détails.
Le corps noir
La loi de Planck - 1901, première proposition
Planck ne constate à l’époque aucune divergence d’énergie dans ses expériences en laboratoire. A ce moment-là, en effet, il travaille sur les ampoules électriques, et observe au contraire que leur rayonnement atteint un maximum avant de décroître pour les longueurs d’ondes ultraviolettes. Il tente alors de corriger cette « catastrophe ultraviolette » [10] dans les équations elles-mêmes, en utilisant les modèles de la physique classique.
« Il commence par appliquer les lois de la thermodynamique au corps noir et relie l’énergie totale U à l’entropie du système. Sa principale hypothèse est de considérer une absorption et une émission continues, chaque oscillateur individuel émettant une énergie élémentaire E proportionnelle à sa fréquence interne ν :

où ν est la fréquence et h la constante de Planck (ou quantum d’action) ; h est un coefficient de proportionnalité fondamental qui relie l’énergie d’un photon à sa fréquence [11].
Planck obtient ainsi une énergie interne totale U et en déduit, en 1901, la solution correspondant aux données expérimentales, connue sous le nom de loi de Planck. Cette première loi résoud la catastrophe ultraviolette avec un spectre fini aux hautes fréquences. Cependant, elle soulève un nouveau problème : l’énergie interne U devrait se réduire à kBT, comme le prévoit le théorème d’équipartition dans la limite classique des hautes températures kBT ≫ hν » [12].
L'équipartition de l' énergie

L’équipartition est un théorème de physique statistique [13] énoncé par le physicien et philosophe autrichien Ludwig Boltzmann à la fin du 19e siècle. Il s’appuie sur la constante de Boltzmann (KB = 1,380649×10-23 J·K-1), introduite en 1877 par le physicien. Cette constante peut s’interpréter comme le facteur de proportionnalité reliant la température thermodynamique d’un système à son énergie au niveau microscopique, dite énergie interne. Dans les cas où le théorème d’équipartition de l’énergie s’applique, la constante de Boltzmann permet de mettre en lien l’énergie thermique E et la température T.
Plus précisément, à l’équilibre thermique, l’énergie cinétique totale d’un système est divisée de façon égale entre ses différents degrés de liberté, chaque degré contribuant à 1/2 KBT. Dit autrement, chaque molécule, chaque translation, chaque vibration et chaque rotation a sa part égale dans l’énergie du système.
Par exemple, dans le cas d’un oscillateur harmonique de type ressort, qui possède deux degrés de liberté (l’énergie cinétique et l’énergie potentielle), l’énergie totale sera de :

On peut dire que l’équipartition relie la température d’un système macroscopique aux énergies moyennes des particules microscopiques qui le composent. Elle ne prend en compte que les degrés de liberté du système, sans tenir compte de sa complexité ou de ses interactions.
Ainsi, l’équipartition ne peut pas expliquer la divergence ultraviolette, l’augmentation infinie de l’énergie prédite par celle-ci étant en contradiction avec la distribution uniforme de l’énergie à l’équilibre thermodynamique.
La loi de Planck - 1912, deuxième proposition
« En 1901, Planck a trouvé un terme négatif supplémentaire de -1/2 hν correspondant à une contribution manquante. Même si sa loi correspond bien au spectre de densité expérimental, Planck n’est pas satisfait de sa dérivation en raison de ce terme résiduel négatif. Il lui faudra près de dix ans pour élaborer une nouvelle théorie.
Entre-temps, en étudiant l’émission d’électrons à partir de métaux éclairés par la lumière, aujourd’hui connue sous le nom d’effet photoélectrique, Albert Einstein suggère, en 1905, que le terme quantique découvert par Planck est un attribut physique réel du rayonnement, de sorte qu’un faisceau de lumière se propage en paquets d’énergie discrets constitués de quanta d’énergie hν, qu’il baptise photons.
Cette découverte de l’émission discrète de lumière sous forme de photons par la matière conduit à la deuxième proposition de Planck. En 1912, la seconde théorie de Planck décrit le corps noir comme un système d’oscillateurs élémentaires capables d’absorber continuellement de la lumière mais d’émettre une énergie électromagnétique discrète [Plus précisément, l’énergie est quantifiée en nombres entiers de hν. Selon cette hypothèse, un oscillateur de fréquenceν ne peut prendre que des états d’énergie discrets multiples de hν, et ne peut être excité qu’à partir d’une énergie minimum hν].
Planck propose en fin de compte qu’un oscillateur absorbe continuellement de l’énergie jusqu’à ce qu’il atteigne un certain seuil, à partir duquel il émet un quanta avec une probabilité définie. Il dérive ainsi une nouvelle expression pour l’énergie interne U, dans laquelle apparaît un second terme 1/2 hν qui correspond à la contribution manquante, en plus du terme classique calculé dix ans plus tôt. Par conséquent, la seconde théorie de Planck satisfait au théorème d’équipartition, ce qui donne U ≈ kBT à haute température (kBT ≫ hν) » [14].
L'énergie du point 0
La quantification de l’énergie a marqué la naissance de la mécanique quantique, et introduit l’une de ses constantes fondamentales, h. La loi de Planck qui en découle décrit la répartition de l’énergie électromagnétique (ou la répartition de la densité de photons) rayonnée par un corps noir à une température donnée, en fonction de la longueur d’onde. En plus de corriger la catastrophe ultraviolette, elle rend compte de manière exacte de ce qui est observé expérimentalement, sur l’ensemble du spectre de fréquences [15].
Cependant, le nouveau terme 1/2 hν signifie également que même à 0° Kelvin (-273,15° C) – là où aucune énergie n’est plus disponible pour être absorbée ou libérée (là où il n’y a plus de particules) – des oscillations se produisent encore. Elles donnent lieu aux fluctuations du vide quantique, qui forment l’énergie de l’état fondamental U0, ou ce que Planck a appelé l’Énergie du Point Zéro.
De la constante de Planck à la constante de Dirac
L’équation de Planck correspond à celle d’un oscillateur harmonique, où 1/2 hν représente l’énergie minimale de l’oscillateur. Cette énergie est donc présente à l’intérieur de l’atome, oscillateur que Planck a, à l’époque, modélisé comme un ressort. Bien que ce modèle soit correct mathématiquement, il est en 1 dimension et ne reflète pas la réalité. Comme le souligne Nassim Haramein, il faut plutôt envisager des oscillateurs avec un mouvement de rotation 3D ; il s’agit en effet d’une visualisation plus réaliste et plus précise de ce qui se produit dans les véritables résonateurs physiques considérés (par exemple, les atomes).
Bien qu’en 1 dimension, le modèle de Planck à l’époque tenait cependant compte du moment angulaire, via la constante de Planck réduite, ou constante de Dirac. Explications :
A l’époque, le terme 1/2 hν qui apparait dans l’équation de Planck a été ignoré. On a en effet considéré que cette énergie était négligeable pour un oscillateur ; mais comme on le verra, si on retire l’énergie du point 0 à un oscillateur, il n’a plus d’énergie source lui permettant d’osciller… Qui plus est, on ne peut pas négliger cette énergie quand on considère la réponse spectrale d’énormément d’oscillateurs (c’est-à-dire de toutes les fréquences possibles).
Avant de voir cela plus en détails dans le papier de Nassim Haramein, attardons-nous un peu sur l’origine de l’énergie du point 0.
Points clés
- Le rayonnement électromagnétique n’est pas absorbé ni émis de manière continue, mais de manière discrète, en quantum d’énergie.
- L’Énergie du Point 0 correspond aux fluctuations du vide quantique qui se produisent à 0° Kelvin (-273,15° C) bien qu’aucune énergie ne soit plus disponible pour être absorbée ou libérée à cette température (0 absolu).
Notes & références
[1] Une fois renormalisée, elle est de l’ordre de 10113 J.m-3
[2] Dans ses précédents travaux, Nassim Haramein a développé un modèle de proton trou noir, dont la masse tient compte de l’énergie du vide. Pour en savoir plus, voir l’article sur la masse holographique.
[3] Puisqu’Einstein a établi une équivalence entre la masse et l’énergie (E = mc²).
[4] Source : Nassim Haramein, Cyprien Guermonprez, & Olivier Alirol. (2023). The Origin of Mass and the Nature of Gravity, traduction libre.
Le corps noir
[5] La lumière incidente est la lumière qui arrive sur un objet avant qu’elle ne soit réfléchie ou absorbée. En l’occurrence, il s’agit ici des lumières visibles à l’œil humain, et des lumières invisibles, comme les rayons infrarouges ou les ultraviolets.
[6] Une température uniforme est identique en tout point et sans variation au cours du temps.
[7] Le spectre d’émission est équivalent à une couleur ; on peut faire le lien entre température et couleur en pensant à un fer chauffé qui passe du rouge au jaune, au blanc et au bleu au fur et à mesure que sa température augmente.
[8] L’équilibre thermodynamique est un état dans lequel un système thermique atteint une situation stable où les échanges de chaleur et de travail avec l’environnement sont nuls ou très faibles. Les systèmes à l’équilibre thermodynamique peuvent cependant encore être soumis à des champs électromagnétiques ou des forces mécaniques, qui peuvent les faire sortir de leur état d’équilibre. Voir l’article sur l’irréversibilité et l’entropie.
[9] En particulier, il ne dépend pas des propriétés du matériau.
La loi de Planck – 1901, première proposition
[10] L’expression vient du physicien autrichien Paul Ehrenfest.
[11] Ou, plus généralement, il relie les propriétés discrètes de type corpusculaires aux propriétés continues de type ondulatoire (au sujet de la dualité ondes / particules, voir l’article Observateur et physique quantique). La valeur de la constante de Planck (h = 6,626 070 15 × 10−34 J s) est fixée par convention depuis le 20 mai 2019 et est désormais à la base de la définition du kilogramme.
[12] Source : The Origin of Mass and the Nature of Gravity, op.cit., traduction libre.
L’équipartition
[13] La physique statistique a pour objet d’expliquer le comportement et l’évolution de systèmes macroscopiques à partir des caractéristiques de leurs constituants microscopiques.
La loi de Planck – 1912, deuxième proposition
[14] Source : The Origin of Mass and the Nature of Gravity, op.cit., traduction libre.
L’énergie du point 0
[15] La loi de Planck améliore d’une part la loi de Wien (1896), une formule empirique qui décrit bien le comportement du rayonnement pour les hautes fréquences, et d’autre part la loi de Rayleigh-Jeans (1900-1905), approximation mécanique qui fonctionne bien pour les basses fréquences. Ces deux lois échouent en revanche à décrire le comportement du rayonnement pour les fréquences intermédiaires.
Crédit photo Max Planck et Ludwig Boltzmann : Wikimedia Commons
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