L'histoire d'Eben Alexander
24 OCTOBRE 2019 (mis à jour le 14 octobre 2023)
Table des matières
Dernier volet de mon exploration (loin d’être exhaustive) des liens entre le cerveau et la conscience. « Votre cerveau est-il vraiment nécessaire ? » telle est la question posée dans le premier article, tandis que le second présente le témoignage de la neuroscientifique Jill Bolte Taylor suite à un AVC. Je m’intéresse ici à un autre neuroscientifique, l’américain Eben Alexander. Suite à l’EMI (Expérience de Mort Imminente) qu’il a vécue en 2008, il nous enseigne que le cerveau ne crée pas la conscience [1].
Alors atteint d’une méningite bactérienne fulgurante, Eben Alexander s’est retrouvé plongé dans un coma profond en quelques heures. Comme c’est le cas en pareille situation, la bactérie a attaqué en premier lieu le cortex cérébral, c’est-à-dire le tissu organique recouvrant le cerveau. Le cortex participe à de nombreuses fonctions cognitives, notamment la mémoire, le langage et le raisonnement logique. Il abrite le néocortex, situé juste à la surface du cerveau et considéré comme essentiel à la production de la conscience.
Eben Alexander a vu son néocortex devenir totalement inactif des suites de son coma…
Un cerveau irrécupérable ?
Lorsqu’il est arrivé aux urgences, il avait moins de 10% de chance de survie et un cerveau considéré comme irrécupérable, puisque déjà au minimum de ses fonctions. Au fil des jours, il a perdu ce qui lui restait d’activité neurologique. Ses examens montraient alors, qu’en théorie, il pouvait seulement avoir une expérience consciente primitive et rudimentaire. Devant cette dégradation majeure de son état clinique sans espoir de guérison, les médecins envisageaient purement et simplement de le « débrancher ».
Mais contre toute attente que le docteur Alexander s’est réveillé après son 7ème jour de coma. Il est finalement revenu à un état de conscience normal. Et sans aucune séquelle neurologique. A son réveil, il ne se souvenait de rien, sauf de l’expérience de mort imminente (EMI) qu’il venait de vivre. Ses souvenirs « terrestres » sont revenus petit à petit, et lorsqu’il a consulté son dossier médical et réalisé l’état dans lequel se trouvait son néocortex pendant sa période de coma, il n’a pu que se rendre à l’évidence : l’expérience de conscience qu’il venait de vivre n’avait pas pu se produire dans son cerveau.
Tout ce qu’il avait appris et croyait jusque-là s’est alors trouvé remis en cause. A commencer par les EMI, qu’il considérait comme « des histoires extraordinaires (…) » autant que « du pur fantasme » [2]. Son expérience lui disait maintenant qu’il venait de « [rencontrer] la réalité d’un plan de conscience qui existait totalement indépendamment des limitations de [son] cerveau. » [3]
Une EMI pour une nouvelle conscience
Finalement, grâce à cette expérience, Eben Alexander a eu une preuve irréfutable, selon ses dires, de l’existence de l’amour et de l’éternité. Une certitude absolue à la mesure – ou plutôt à la démesure – de son scepticisme d’antan :
« Avant mon coma je pensais que je comprenais comment le cerveau, l’esprit et la conscience fonctionnaient. J’ai passé 20 ans en neurochirurgie, 15 ans à l’école de médecine de Harvard, à opérer des gens avec des maladies très graves du cerveau (…). [Pourtant] une chose est devenue très claire à l’issue de mon voyage, c’est que la seule chose qui existe, c’est la conscience. Cette petite voix de la pensée rationnelle, ce n’est pas moi, ce n’est pas la conscience. La conscience en moi observe cette voix. »
EBEN ALEXANDER [4]
En fin de compte, il s’est retrouvé dans une situation où il lui était tout simplement impossible – en tant qu’homme et en tant que scientifique – de contester le fait que la conscience existe indépendamment du cerveau. Je suis arrivée au même constat… en empruntant le chemin inverse. En effet, mes croyances étaient à l’opposé de celles d’Eben Alexander. Mon expérience en fut le reflet. En témoigne mon score de Glasgow à 15 alors que le sien se situait presque aux antipodes, à 5.
Pour le scientifique, « le cerveau est comme une valve de réduction, il prend la conscience universelle, qui préexiste, et la réduit a une forme qui [la limite] à un objectif de survie » [5]. Je nuancerais un peu son propos en disant que c’est le cerveau tel que nous l’utilisons, c’est-à-dire asphyxié par le mental, qui agit comme un filtre réduisant la conscience à une forme illusoire et limitée à notre espace-temps. Mais notre cerveau peut tout à fait fonctionner – et même mieux ! – si nous élargissons notre conscience.
La puissance de l’expérience
Cortex or not cortex ?
Revenons-en au questionnement sur la conscience. Lorsque l’on dit que le cerveau produit la conscience – ou ne la produit pas – de quoi parle-t-on exactement ? De la différence, selon moi, entre la conscience et l’expérience de la conscience.
Posons la question autrement : a-t-on besoin du néocortex pour faire l’expérience de notre plan de conscience habituel, le plan mental ? Manifestement, oui. Mais a-t-on besoin du néocortex pour faire l’expérience d’une conscience élargie, au-delà du plan mental ? Manifestement non, d’après l’expérience d’Eben Alexander. A l’inverse, le néocortex est-il un frein pour avoir l’expérience d’une telle conscience ? Manifestement non, d’après mon expérience. Si le cerveau produit simplement, par l’intermédiaire du néocortex, notre expérience de la conscience, il n’en reste pas moins que la conscience sous-tend tout ce processus.
Un point de conscience solitaire
Pour terminer, je voudrais préciser qu’une controverse existe quant au fait qu’Eben Alexander aurait été plongé dans le coma non pas par la méningite, ainsi qu’il le raconte dans son livre, mais par l’équipe médicale, lorsqu’il est arrivé aux urgences. De même, il dit avoir fait une EMI, ce que certains spécialistes contestent, car sa description ne cadre pas avec les récits habituels des personnes rapportant ce genre de faits.
Pour ma part, qu’il ait été plongé dans le coma artificiellement ou non, et qu’il ait fait une EMI ou pas, ne change pas grand-chose à l’affaire. Ce n’est pas mon propos de parler de coma ou d’EMI, puisque je n’ai expérimenté ni l’un ni l’autre. Mon propos est de parler du fait que notre existence ne se résume pas à notre activité cérébrale et mentale. Mon propos est de parler d’une conscience élargie, à laquelle nous avons accès.
Ce qui m’intéresse dans l’expérience d’Eben Alexander est qu’il en soit arrivé à se considérer comme un « point de conscience solitaire » [6], une conscience sans mémoire et sans identité. Pour moi, la seule raison qui puisse amener un homme, qui plus est si cartésien, à faire ce genre de déclaration – et à la rendre publique – est d’en avoir indéniablement fait l’expérience, quelles qu’en aient été les circonstances exactes. Et que cette expérience bouleverse sa vision des choses, de la conscience et de la vie.
Quid de la science ?
Finalement, ce que je trouve très beau dans son histoire, c’est que son expérience ne l’a pas coupé de la science pour autant. Au contraire, il l’envisage avec ouverture. Pour lui « tous les succès scientifiques et technologiques du 20ème siècle invalident la conception matérialiste du monde car ils n’ont absolument rien à dire quant au mécanisme de création de la conscience par le cerveau physique » [7].
Et pour cause… Pourtant, il explique :
« Je reste autant scientifique que je l’ai toujours été, mais il s’agit de Science avec un grand « S », Science qui cherche à connaître la vérité sur notre existence. Il y a certains aspects de la méthode scientifique qui peuvent nous aider mais la méthode scientifique, de par sa conception même, est extrêmement limitée et ne peut révéler que de petites facettes de la réalité. »
EBEN ALEXANDER [8]
Je trouve en effet pertinent de questionner la méthode scientifique, en lien avec la conscience. Vous pouvez lire à ce propos l’article L’objectivité, angle mort de la science.
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