Cerveau, science & conscience
30 NOVEMBRE 2018 (mis à jour le 16 novembre 2023)
Table des matières
Quels sont les liens entre le cerveau et la conscience ? Le cerveau produit-il la conscience ? Un questionnement qui fait suite à l’article Pensées + émotions = mental. J’aborde dans cet article les relations cerveau / conscience sous l’angle de la médecine, des neurosciences et de la méditation.
Un état de conscience inattendu
Il est possible de connaître une perte de conscience plus ou moins brève quelques minutes après la rupture d’un anévrisme [1]. Succinctement, le processus à l’œuvre est le suivant : lorsqu’une hémorragie débute, le corps met immédiatement en place un mécanisme de défense appelé hémostase, dont l’objectif est de stopper le saignement.
L’hémostase – corrélée à une diminution de la pression de perfusion cérébrale [2] – induit notamment une baisse du débit sanguin à l’intérieur du cerveau, et par conséquent une diminution de l’apport en oxygène. Cela peut, chez certaines personnes, entraîner une perte de conscience, et contribuer ainsi à confirmer le diagnostic de l’hémorragie méningée.
Cette perte de conscience ne s’est pas produite dans mon cas. En fait, non seulement elle ne s’est pas produite mais il est plutôt troublant de remarquer que c’est précisément au moment où elle aurait pu avoir lieu – soit dans les cinq premières minutes qui ont suivi le début de l’hémorragie – que j’ai fait l’expérience d’une conscience élargie [3]. Ainsi, en lieu et place d’avoir perdu conscience, au sens médical du terme, j’ai pour ainsi dire plus que jamais perçu ma conscience.
Notons que notre vocabulaire est très révélateur : on parle de perte de conscience, comme si on présupposait qu’un état d’inconscience nous coupe totalement de la conscience. Mais est-ce vraiment le cas ? Poursuivons notre exploration.
Un score pour la conscience
Comment ça marche ?
Il existe deux scores pronostiques, à partir desquels peut être évaluée, au moyen d’une échelle clinique, la gravité d’une hémorragie méningée. Ces scores permettent également d’estimer les chances de récupération de la personne atteinte. Ces-dernières dépendant en effet directement de son bilan clinique initial. Le premier score, celui de Hunt et Hess, a été mis au point en 1968. Il est spécifique aux hémorragies méningées, et se décline en une graduation qui va de 0 (anévrisme non rompu) à 5 (coma profond).
Le deuxième score, celui de la Fédération Mondiale de Neurochirurgie (WFNS), permet d’évaluer le pronostic fonctionnel à six mois. Il est dérivé du score de Glasgow, qui repose quant à lui uniquement sur l’état de conscience. Outre le fait que le score de Glasgow constitue en soi un indicateur pertinent par rapport à mes recherches, il se trouve que c’est également le seul à avoir été indiqué dans mon dossier médical. C’est donc à double titre que je m’y intéresse.
L'échelle de Glasgow
L’échelle de Glasgow, ou score de Glasgow, tire son nom de la ville éponyme située en Ecosse. C’est là que se trouve l’institut de neurologie où elle fut développée par Graham Teasdale et Bryan Jennet en 1974. Cette échelle a été mise au point, en tant qu’indicateur de l’état de conscience, pour aider les médecins à évaluer la gravité des traumatismes crâniens. Munis de ces informations, ils peuvent d’autant mieux adapter leurs actions afin de maintenir les fonctions vitales d’une personne en état d’urgence. L’échelle va de 3, pour une personne dans un coma profond, à 15, pour une personne parfaitement consciente et orientée, c’est-à-dire sachant qui elle est, ce qui lui est arrivé, et étant capable de se situer dans le temps et dans l’espace. L’évaluation du score se fait selon trois critères : la réponse verbale, l’ouverture des yeux et la réponse motrice.
Une trop courte échelle pour la conscience
D’après mon dossier médical, à mon arrivée aux urgences, j’étais une « patiente Glasgow 15 », autrement dit on ne peut plus consciente d’elle-même… Même si je mesure toute l’importance qu’a eu l’évaluation de « mon score » pour l’équipe médicale au moment des faits, lorsque j’ai pris connaissance de cette information par la suite, je n’ai pas pu m’empêcher de sourire en pensant que le cas « conscience élargie » n’avait de toute évidence pas été prévu sur cette échelle… !
Car comment pourrait-on, de l’extérieur, évaluer une expérience intérieure ? Quand bien même on aurait mesuré ce score quelques minutes après le début de l’hémorragie, on aurait trouvé 15. En effet, extérieurement je devais être à peu près dans le même état, et intérieurement, j’étais la seule à pouvoir apprécier – c’est le cas de le dire – mon expérience.
Le fait que cette-dernière dépasse largement le cadre de la perte de conscience et les limites de l’échelle de Glasgow m’a conduit à regarder de plus près comment la médecine envisage la relation entre la conscience et le cerveau. Pour m’apercevoir que d’une certaine manière, elle tente tout de même d’évaluer les expériences intérieures.
Ainsi, elle met en correspondance les différents états de conscience avec les rythmes cérébraux. Mais si cette correspondance a le mérite de clarifier la relation conscience/cerveau, elle n’en installe pas moins un questionnement fondamental : la conscience est-elle produite par le cerveau ? Autrement dit, la conscience peut-elle se résumer à des activités chimiques, physiques et électromagnétiques dans le cerveau ?
Cerveau et neurosciences
Pour le neuroscientifique et physicien Denis Bédat, spécialiste des états cérébraux, l’intensité de l’énergie électromagnétique générée en permanence par le cerveau varie en fonction de notre perméabilité aux sollicitations extérieures. Ainsi, « plus les sollicitations extérieures sont fortes, plus les neurones absorbent et traitent d’informations » [4]. Cela a pour conséquence d’augmenter l’intensité de l’énergie électromagnétique dans le cerveau. Si, au contraire, nous sommes en mesure de rester imperméables à ces sollicitations, l’énergie électromagnétique générée sera alors beaucoup moins intense. Il explique ainsi que « les grands yogis atteignent rapidement l’état de conscience de leur choix et s’y maintiennent, même au milieu d’une discothèque ! Leurs ondes cérébrales sont structurées, parfois même harmoniques. » [5]
Cela laisse donc entendre que l’on peut avoir une réponse différente, en termes d’état de conscience, au même environnement.
Les champs de la conscience
Il existe quatre grandes catégories de fréquences (Delta, Thêta, Alpha, Bêta). Elles correspondent à des activités cérébrales différentes, chacune étant associée à un champ de conscience spécifique. Ces fréquences oscillent entre 0,5 et 40 Hz par seconde, et vont du sommeil profond à l’activité intense. Avant 0,5 Hz existe une fréquence proche du zéro absolu, correspondant à une activité cérébrale très réduite (coma). En revanche, une sixième plage de fréquences, celle des ondes gamma, autour de 40 Hz, semble ne pas correspondre à un état de conscience ordinaire.
En effet, les fréquences alors émises sont celles constatées chez les yogis par exemple. Chaque champ de conscience reflète un état mental particulier, ayant un impact sur nos processus biologiques. « La libération de tel ou tel neurotransmetteur dans le cerveau est conditionnée par l’intensité des communications entre les neurones » [6] explique ainsi Denis Bédat.
Le chercheur indique également que « grâce à des systèmes d’électroencéphalogramme et de neurofeedback, disponibles pour l’instant dans certains centres de recherche neuro-hospitaliers, il est désormais possible d’identifier en temps réel la fréquence cérébrale dans laquelle on se trouve et d’agir sur elle » [7]. Ainsi, grâce à des stimulations sous forme de lumière, de sons ou autres vibrations, on peut passer d’une fréquence à une autre très facilement.
Le tableau suivant est inspiré des travaux du chercheur. Il répertorie ces différents champs de conscience en y associant les fréquences vibrées ainsi que l’activité du corps et du cerveau correspondantes.
Méditation et neurosciences
En 2002, les ondes gamma ont fait l’objet d’études scientifiques [8] grâce à Richard Davidson. Professeur de psychiatrie à l’Université du Wisconsin, il possède un laboratoire de recherche en neurosciences. Il intervient également à l’institut américain Mind and Life, dont le but est de favoriser un apport réciproque entre le bouddhisme et la science, et notamment de montrer les effets neurologiques de la méditation.
Avec le soutien du Dalaï-lama, Richard Davidson a réussi à convaincre des moines bouddhistes ayant à leur actif entre 10 000 et 50 000 heures de méditation, de prêter leur cerveau aux neurosciences. Il a ainsi pu mettre en évidence une production importante d’ondes gamma dans le cerveau des moines tandis qu’ils méditaient sur la compassion inconditionnelle [9].
Pour un cerveau synchronisé !
Les ondes gamma siègent dans le cerveau de chaque personne, et sont les seules ondes à être présentes dans toutes les aires cérébrales. Cependant, elles ne s’activent que lorsque le cerveau entreprend une action durable et soutenue, comme lors d’un effort d’attention ou de mémorisation. Plus elles sont activées, plus elles font interagir les populations de neurones présentes dans les différentes aires cérébrales, pour finalement les conduire à avoir une activité synchrone.
La méditation permet d’augmenter de façon significative la production d’ondes gamma, proportionnellement au nombre d’heures effectuées. Par là-même, elle produit une plus grande synchronisation des aires cérébrales. Ainsi, le principal bénéfice de cette pratique réside dans l’augmentation de la cohérence de l’activité cérébrale. Mieux, c’est une restructuration du cerveau qui se joue, du fait que cette cohérence perdure après chaque séance. Bien sûr, la pérennité de la restructuration cérébrale va de pair avec la régularité de la pratique.
Le cerveau, ce système dynamique
De la plasticité neuronale…
Ces résultats ont été confirmés en 2004 lors d’une autre série d’expériences, effectuées avec le moine bouddhiste Matthieu Ricard. Celui-ci, également membre de l’institut Mind and Life, participe activement aux recherches sur la plasticité neuronale. Celle-ci peut se définir comme la capacité du cerveau de créer, défaire ou réorganiser les réseaux de neurones et les connexions de ces neurones. En fait, c’est la plasticité neuronale qui explique la restructuration cérébrale.
D’ailleurs, les recherches sur le sujet montrent que tout au long de la vie – et pas simplement durant la petite enfance comme on l’a longtemps cru – le cerveau agit comme « un système dynamique, en perpétuelle reconfiguration » [10]. Les changements qui s’y produisent constituent non pas l’exception mais la règle, tant au niveau cellulaire qu’au niveau des structures et des fonctions du cerveau.
Corroborant les expériences précédentes, le cerveau de Matthieu Ricard a laissé apparaître une augmentation de l’activité gamma en état méditatif, activité qui perdurait lorsque le moine sortait de cet état. L’imagerie cérébrale (IRM) utilisée pour l’occasion a quant à elle mit en évidence, notamment, une activité dans la région responsable de la gestion des émotions. Cette activité concomitante à un apaisement des régions qui maintiennent la conscience du « moi » et de « l’autre ».
… à l’entrainement cérébral
Ces éléments ont permis d’établir le fait qu’un entrainement cérébral occasionne une perception accrue, une capacité plus importante à résoudre des problèmes, et surtout une conscience élargie. Notons que l’on trouve parfois dans la littérature le concept d’entrainement mental. D’une part le mental a pour moi une signification bien particulière [11]. D’autre part, il peut facilement nous induire en erreur en matière de conscience. C’est pourquoi, il me semble plus juste de parler d’entrainement cérébral.
Si la médecine permet de constater des corrélations entre des états de conscience et des rythmes cérébraux, elle ne permet toutefois pas d’expliciter ce qu’est la conscience, ni quels sont ses liens avec l’expérience vécue. Et pour ma part, plus j’avançais dans mon enquête sur la conscience, plus j’avais le sentiment qu’il serait peut-être plus juste de parler d’expérience consciente plutôt que de conscience.
Je vous propose de poursuivre votre exploration de la conscience, en lisant l’article sur l’expérience consciente, ou celui sur La conscience quantique, qui présente le point de vue du physicien Nassim Haramein.
Points clés
- On peut avoir une réponse différente, en termes d’état de conscience, au même environnement.
- La méditation produit une plus grande synchronisation des aires cérébrales, augmentant ainsi la cohérence de l’activité cérébrale.
- Le cerveau est un système dynamique, en perpétuelle reconfiguration.
- Si la médecine permet de constater des corrélations entre des états de conscience et des rythmes cérébraux, elle ne permet toutefois pas d’expliciter ce qu’est la conscience, ni quels sont ses liens avec l’expérience vécue.
Notes & références
[1] Lire l’acte 1 de Mon histoire pour en savoir plus.
[2] La perfusion cérébrale s’effectue dans le système circulatoire où ont lieu les échanges gazeux et liquidiens extracellulaires. A l’intérieur de ce réseau, les éléments ont des dimensions et diamètres extrêmement petits, de l’ordre du micro ou nanomètre (on parle de microcirculation). La perfusion cérébrale apporte des substrats énergétiques (oxygène et glucose) aux neurones en fonction du métabolisme local.
[3] Lire l’acte 2 de Mon histoire pour en savoir plus.
[4] BEDAT Denis. (2013, 20 décembre), cité par Réjane Ereau, Les champs de la conscience. In : INREES – Inexploré.
[5] Ibid.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] RICARD Matthieu, LUTZ Antoine et DAVIDSON Richard. (2015, Février). Méditation, comment elle modifie le cerveau, In : Pour la Science, n°448
[9] On peut définir la compassion inconditionnelle comme une volonté et une disponibilité à aider tous les êtres vivants, ce qui n’est possible qu’à partir de l’espace du cœur.
[10] LES DOSSIERS DE LA RECHERCHE. Entretien avec Jean-Pierre Changeux : La plasticité cérébrale forge notre individualité, n°40, Août 2010, p.6
[11] Pour en savoir plus, voir l’article pensées + émotions = mental.
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2 commentaires à propos de “Cerveau, science & conscience”
Article très intéressant. C’est étrange car cela me fait penser aux travaux d’Alex Michel qui explique cela depuis une dizaine d’années… je connaissais donc déjà les grands principes
Bonjour, je ne connaissais pas Alex Michel, du coup j’ai découvert ses travaux, merci !