L'histoire de Jill Bolte Taylor
12 OCTOBRE 2019 (mis à jour le 17 octobre 2023)
Table des matières
Après un premier tour d’horizon des rapports entre le cerveau et la conscience intéressons-nous au témoignage de la scientifique américaine Jill Bolte Taylor.
Le cerveau occupe une place pour le moins atypique dans sa vie. La maladie de son frère, atteint de schizophrénie, l’a en effet poussée à se spécialiser en neuroanatomie. C’est ainsi qu’elle a pu étudier les connexions qui se produisent dans le cerveau, en particulier dans le cas de pathologies psychiatriques.
Alors qu’elle cherchait à comprendre pourquoi son frère semblait vivre dans un monde séparé de la réalité telle que ses semblables l’expérimentent, elle a fait un AVC le 10 décembre 1996, à l’âge de 37 ans. La rupture d’un vaisseau sanguin dans son cerveau gauche a eu pour conséquence la mise à l’arrêt pure et simple de cet hémisphère cérébral.
Au cours de cet étrange épisode, elle a perdu toute notion de limites corporelles. Elle ne distinguait plus son enveloppe physique de ce qui l’entourait. Elle percevait simplement de l’énergie. Puis, par intermittence, elle revenait à ses perceptions habituelles. A force d’allers-retours entre un état expansé et un état où le mental reprenait le dessus, elle a finalement réussi, non sans difficultés, à appeler les secours [1].
Du cerveau gauche au cerveau droit
Deux cerveaux, deux fonctions
Cette expérience insolite l’a conduite à émettre des hypothèses quant au fonctionnement des hémisphères cérébraux. Selon elle, le cerveau droit fonctionnerait dans l’ici et maintenant et traiterait toutes les informations simultanément. Il serait associé au liage perceptif. Ainsi, il construirait une représentation unifiée des choses à partir des perceptions visuelles, olfactives, auditives etc.
Le cerveau gauche, quant à lui, fonctionnerait de manière linéaire, et par comparaison. Il se focaliserait sur les détails du moment présent, en les classant et en les comparant aux événements passés afin de savoir comment agir dans le futur. Cet hémisphère serait le siège du langage et de la distinction des choses entre elles. Il pratiquerait une sorte d’étiquetage mental des perceptions sensorielles.
Pour la scientifique, le cerveau abriterait en fait deux consciences cognitives. D’une part celle de l’hémisphère gauche, traitant les informations sous l’angle de la séparation, du détail et de l’identité. D’autre part celle de l’hémisphère droit, engagé dans le présent, la globalité, l’unité, représentant en somme l’aspect non-local de la conscience. Elle dit ainsi que « l’hémisphère droit de notre cerveau est programmé pour le bonheur, la paix, la compassion » [2] et que « la plasticité des neurones [3] donne à chacun la possibilité de « virer à droite » et de choisir la paix et l’amour plutôt que l’affrontement. » [4]
Des hémisphères complémentaires
Jill Bolte Taylor a publié son témoignage dans le livre Voyage au centre de mon cerveau [5]. Il s’agit toutefois davantage d’un récit de sa propre expérience que d’un travail scientifique à proprement parler. A ce sujet, précisons que la distinction entre les deux hémisphères proposée par la neuroanatomiste présente le cerveau comme étant asymétrique. Ce qui signifie selon elle que les informations relatives aux fonctions cognitives – telles que la vision, l’audition, la mémoire… – seraient traitées par l’un ou l’autre des hémisphères.
Or, au regard des travaux effectués depuis quelques années en neurosciences [6] sur les troubles fonctionnels occasionnés par une lésion cérébrale, la réalité est plus subtile. Il existerait plutôt une complémentarité dans la façon dont les deux hémisphères cérébraux traitent l’information. Ainsi, le langage par exemple ne dépendrait pas exclusivement de l’hémisphère gauche. Celui-ci s’occuperait des aspects liés à la grammaire et à la production des mots, mais l’hémisphère droit jouerait également un rôle important en gérant l’intonation et l’accentuation.
Réalité augmentée
Pour ma part, j’aurais tendance à placer la distinction non pas, effectivement, entre les deux hémisphères mais plutôt entre le mental et la conscience. Cette dernière étant à mon sens non-localisée et soutenant l’expérience du mental et de l’hémisphère gauche. Mais quoi qu’il en soit, cela ne change rien au message essentiel que Jill Bolte Taylor nous livre : ce que nous croyons être n’est pas ce que nous sommes.
Bien que nous ayons toutes les deux vécu et survécu à un AVC pour pouvoir produire un témoignage, nos expériences divergent. Autant par la façon dont elles se sont déroulées que par les conséquences qu’elles ont eues. La scientifique a en effet connu une hémorragie intracrânienne dont elle a mis huit ans à se remettre des séquelles. Elle a dû notamment réapprendre à parler, à lire et à marcher.
En ce qui me concerne, mon cerveau en tant que tel n’a pas joué un rôle majeur dans mon expérience puisque l’hémorragie s’est déclarée dans mes méninges (lire Mon histoire). Cela étant, son fonctionnement aurait pu être considérablement altéré, du fait de la pression exercée sur lui par l’hématome. Cela n’a heureusement pas été le cas, grâce à l’arrêt du saignement récidivant, m’épargnant ainsi des séquelles.
Une question de câblage neurologique
Se concentrer sur l’instant présent
Malgré tout, nos expériences respectives se rejoignent en ce sens où elles nous ont fait vivre une expansion de notre conscience. Jill Bolte Taylor l’exprime de cette façon : « Je dois avouer que la nécessité d’admettre que notre vision du monde extérieur et notre relation à lui découlent de notre « câblage » neurologique, m’a libérée tout en me posant un défi de taille. Jusque-là, je n’étais donc que le pur produit de mon imagination ! » [7]
J’ai quant à moi utilisé les mots « mental » et « conscience », mais de toute évidence, nous parlons de la même chose. J’ai également, tout comme elle, fait l’expérience d’une sérénité absolue dans l’ici et maintenant. Bien que ce fut sur un laps de temps très court, cet état hors du mental me reste néanmoins accessible. A l’image de ce qu’explique avec ses propres mots la scientifique dans son livre témoignage :
« [Mon émotion] ne persiste plus d’une minute et demie que lorsque je laisse le circuit neuronal correspondant activé en boucle. Je n’en reste pas moins libre à tout moment d’attendre que ma réaction se dissipe en me concentrant sur l’instant présent plutôt que de me laisser happer par le fonctionnement répétitif de mes neurones. Le « câblage » de notre système limbique a tellement tendance à programmer nos réactions que nous avançons souvent dans la vie en pilotage automatique. »
JILL BOLTE TAYLOR [8]
En route pour l’aventure
La façon dont Jill Bolte Taylor décrit son expérience me rappelle une conversation que j’ai eue avec Madeleine (lire mon histoire pour savoir qui est Madeleine) il y a une dizaine d’années. A cette époque, j’avais dans l’idée de me ressourcer en partant faire un stage d’une semaine en pleine nature, au fin fond du Cantal.
La rencontre avait des allures chamaniques, qui plus est avec des personnes que je ne connaissais pas. Même s’il était précisé qu’aucune plante ne serait utilisée – condition sine qua none pour que j’accepte d’y participer ! – je sollicitais l’avis de Madeleine afin de m’assurer que je ne m’embarquais pas dans une aventure trop risquée. Je lui fis donc lire le descriptif, qu’elle me rendit aussitôt en s’exclamant spontanément : « je veux y aller ! ». J’allais donc non seulement partir accompagnée, mais en plus partager cette aventure avec elle : le jackpot !
Entre croyance et expérience
Quelques semaines plus tard, je l’embarquais donc dans ma voiture. J’ai profité du privilège d’être seule à ses côtés pour lui demander comment elle percevait les choses. Sa réponse fut très littérale. Elle me raconta que lorsqu’elle était petite, elle ne voyait pas les limites de son corps. Pour elle, tout n’était qu’énergie. Elle se mettait alors devant la glace et devait se concentrer pour délimiter les contours de son enveloppe corporelle…
Autant dire que c’était le monde à l’envers pour moi. En l’écoutant, j’ai réalisé que s’il me paraissait évident qu’on ait chacun une interprétation différente des choses, il me paraissait étrange que nos « yeux » ne voient pas la même chose. A tel point qu’il ne m’était jamais venu à l’idée de remettre mon approche visuelle en question, tant elle constituait pour moi la seule manière possible d’accéder au monde.
Même si les réponses de Madeleine ne cadraient pas avec ma conception des choses à l’époque, j’avais déjà suffisamment côtoyé son authenticité pour la croire volontiers. Je la croyais, mais, elle, expérimentait : là se situait la différence entre nous. Le plus fou était en effet de me trouver en présence d’un être en chair et en os pour qui cette façon d’être était naturelle. J’avais tout simplement à côté de moi la preuve vivante qu’on peut évoluer – et faire évoluer les autres – en étant « câblé » différemment.
Je vous invite maintenant à poursuivre votre exploration des liens entre le cerveau et la conscience en lisant le témoignage du neuroscientifique Eben Alexander.
Notes & références
[1] Voir la conférence Ted qu’elle a donné : La puissante introspection de Jill Bolte Taylor
[2] DE VEZINS Véziane. (2008, 7 novembre). L’incroyable guérison du Dr Jill Bolte Taylor. In : Le Figaro
[3] Lire à ce sujet l’article Cerveau, science et conscience
[4] DE VEZINS Véziane, L’incroyable guérison du Dr Jill Bolte Taylor, op.cit.
[5] TAYLOR Jill Bolte, Voyage au centre de mon cerveau, Paris : J’ai lu, Collection Aventure Secrète, 2009.
[6] Voir Cortex Mag (2021, 8 juillet), Université de Lyon : Neuromythe #5 : cerveau droit, cerveau gauche
[7] TAYLOR Jill Bolte, Voyage au centre de mon cerveau, op.cit., p.88
[8] Ibid., p.175
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