L'expérience consciente
24 JANVIER 2019 (mis à jour le 14 novembre 2023)
Table des matières
Cet article fait suite à celui intitulé Cerveau, science et conscience, dans lequel j’explore le thème de la conscience sous l’angle de la médecine. J’y aborde notamment les différents champs de la conscience, leur fréquence vibratoire, ainsi que l’activité spécifique du corps et du cerveau qui leur correspond.
Le questionnement que je soulève à présent est le suivant : quelles fréquences d’ondes cérébrales aurait-on pu mesurer lorsque ma conscience s’est désengagée de mon mental [1] ? La réponse n’est pas tranchée. Tout ce que je peux dire, c’est que si, au moment des faits, j’avais uniquement eu à ma disposition le tableau des champs de conscience (repris ci-dessous), il m’aurait été assez difficile de déterminer où je me trouvais. J’aurais eu l’impression de me situer aux deux extrémités de l’échelle en même temps. C’est-à-dire : plongée à la fois dans une conscience hors espace-temps – sans pour autant être dans le coma ou à expérimenter l’imminence de ma mort – mais également dans la pleine conscience.
A la recherche de la conscience
Lâcher-prise et pleine conscience conscience
Les caractéristiques attribuées à l’état de pleine conscience correspondent précisément aux sensations qui étaient les miennes à ce moment-là. En effet, même si je ne me sentais pas particulièrement stressée, mon corps était, paradoxalement, en état d’alerte. De plus, j’avais l’étrange impression d’avoir vécu cinq journées en une. Comme si mon activité cérébrale avait été beaucoup plus intense que d’habitude. Ma mémoire également : pendant longtemps, je me suis souvenue de nombreux détails de cette improbable journée.
En revanche, je ne saurais dire – du moins en ces termes – si j’ai fait l’expérience d’une augmentation de la production d’ondes gamma [2] dans mon cerveau. Toujours est-il que tout semble s’être passé comme tel. Car de même que le mental « lâche prise » lorsqu’on atteint un certain niveau de méditation, ma conscience a fini par se désynchroniser de mon mental. Les conditions propres à l’état méditatif semblaient ainsi être réunies. Cela laisse alors supposer que je baignais dans le champ de la pleine conscience.
Mais je peux également me positionner à l’autre extrémité de l’échelle car j’ai ressenti une suspension du temps. Elle a laissé place à l’instant présent, et de fait à une expérience de la conscience hors de l’espace et du temps.
La présence passe par le corps
Aux deux extrémités du spectre – les ondes proches du 0 absolu (coma) ou les ondes gamma – on constate que la conscience s’élargit. Cependant, dans le cas d’un coma ou d’une expérience de mort imminente, le contact avec le corps est perdu. Et il peut aller jusqu’à se rompre si la personne décède. Tandis que dans le deuxième cas, la personne est totalement présente dans son corps.
Si j’avais perdu connaissance, j’aurais peut-être pu témoigner d’un état de conscience. Et ce malgré le fait que mes ondes cérébrales auraient été proches de 0. Par contre je n’aurais sans doute pas touché la présence, comme ce fut le cas étant donné que je suis restée consciente et en contact avec mon corps.
Quoi qu’il en soit, le plus grand enseignement de ce tableau est sans doute qu’il reflète une lecture mentale de la conscience. Bien qu’elle ait son utilité, elle ne dit cependant rien sur la nature de la conscience. Celle-ci est simplement catégorisée, et implicitement présentée comme inséparable du mental. On pourrait ainsi penser que la conscience progresse ou régresse, nous faisant passer par exemple d’un état d’inconscience – le coma, ou le sommeil profond – à un état de pleine conscience, ou inversement.
Quand le fini rencontre l'infini
En fait, cette manière d’envisager les choses parait cohérente tant que la conscience est synchronisée sur le mental. En effet, celui-ci ayant un fonctionnement linéaire, il entraîne automatiquement la conscience dans cette voie. Mon histoire raconte pourtant autre chose : ma conscience est sortie de toute progression linéaire, pour basculer dans un espace immensément plus vaste. Comme si elle retrouvait un milieu en quelque sorte plus naturel pour elle.
Pour donner une analogie, je dirais que tout s’est passé comme si la conscience était un océan, et que le point de conscience que j’incarne dans cet océan avait franchi la barrière de vagues, représentée par mes ondes cérébrales. Alors, tout comme le surfeur doit franchir la barrière de vagues pour atteindre une étendue d’eau plus calme et y attendre la vague, ma conscience aurait franchi une barrière d’ondes de plus en plus courtes et rapides, d’une fréquence élevée. Jusqu’à ce que je bascule dans un état de sérénité absolue, dans la présence. J’aurais alors été en mesure de laisser passer toute vague se présentant, sans que cela ne m’affecte.
Conscience et expérience de la conscience
Différentiels de conscience, différentiels d'expérience
Pour autant, on ne peut pas considérer qu’il y ait une différence entre la conscience et l’expérience que chacun en fait. Car une différence induit une dualité. Et aucune dualité ne peut avoir sa place au sein de la conscience puisque la conscience sous-tend l’expérience même de la conscience. La conscience englobe tout. Ainsi, plutôt que de dualité, on peut parler de complémentarité d’approche. L’expérience induit alors un différentiel de conscience qui devient la condition de possibilité de tout ce questionnement.
De ce point de vue, la conscience n’a de sens que dans l’expérience. En revanche, du point de vue de la présence, le différentiel induit par l’expérience n’existe plus. La présence est alors comme la conscience qui ne se connaitrait pas par l’expérience. Le philosophe Jiddu Krishnamurti parlait de néant, en ces termes : « Le néant ne peut pas agir, car toute chose y est incluse » [3]. Seule l’expérience permet d’agir, à travers un mouvement créé par des différentiels de conscience… et donc d’expériences.
Basculer dans la présence, c’est ne plus être dans l’expérience en tant que mouvement. C’est accéder à l’immobilité intérieure, immobilité des pensées, des émotions, des sentiments. Mais même cette définition n’est pas adéquate. Et aucune ne l’est. Parce qu’on ne peut rien dire de la présence qui ne nous en extrait instantanément. Cependant la seule manière que nous ayons d’en parler, c’est à travers l’expérience. Car celui qui parle, c’est le Moi, et le Moi ne connaît que l’expérience.
Conscience, es-tu là ?
De manière plus pragmatique, nous pouvons dire que la présence est au-delà de toute identité. Tandis que l’expérience est subjective et rendue tangible notamment par l’intermédiaire de « champs » différents. Mais raisonner comme si l’on passait d’un champ de conscience à un autre, c’est ignorer le fait que la conscience sous-tend la réalité – ou l’illusion – desdits champs. En fait, ces-derniers n’ont d’existence que celle de notre mental linéaire et fragmentaire. C’est pourquoi, il serait selon moi plus juste de considérer que l’on accède à différentes perceptions et expériences de la conscience. Parce qu’elle est constamment présente en toile de fond de nos expériences et indépendante de l’activité cérébrale. Bien que l’expérience que nous en avons soit plus ou moins accaparée par le mental.
Dès lors, la question n’est plus de savoir si la conscience est là ou pas, la question est de savoir jusqu’à quel point l’activité cérébrale peut entretenir l’illusion qu’elle produit la conscience quand elle permet simplement d’accéder à l’expérience et l’interpréter.
Awareness et consciousness
Une féconde subtilité
Krishnamurti, à l’instar d’Eckhart Tolle, nomme la notion d’immobilité, de présence, en utilisant le terme anglais « awareness ». Quasi indissociable du terme « consciousness », il introduit pour les anglophones une subtilité que l’on ne trouve pas dans la langue française lorsque l’on parle de la conscience. Il est d’autant plus pertinent de s’attarder sur cette subtilité qu’elle offre un bon résumé de mon propos.
L’awareness pure est immobilité, présence. Elle n’est pas de l’ordre de l’expérience. Cependant, en tant que présence, l’awareness soutient l’expérience de l’univers. Autrement dit, elle soutient le mouvement présent partout. Celui-ci est créé par un différentiel de conscience, une polarisation allant du conscient à l’inconscient. Et cette polarisation, ainsi que le mouvement qui en résulte, représentent les conditions préalables à la manifestation de la consciousness.
Le lien entre l’awareness et la consciousness se situe au niveau de la prise de conscience. La prise de conscience vient avec la connaissance, le feedback qui permet à l’information de se révéler dans le conscient, de passer de l’inconscient au conscient [4]. Ainsi, la connaissance crée un potentiel d’accès à des niveaux de conscience plus élevés.
Observer ou ne pas observer ?
Telle est la question. La consciousness implique un observateur [5], et elle est relative à chaque observateur. Elle nous permet d’interpréter la réalité extérieure, et de recevoir l’interprétation de tous les autres observateurs. C’est ainsi qu’elle progresse de l’inconscient vers le conscient. Lorsque l’observateur a une prise de conscience, la consciousness l’extrait momentanément de l’expérience. Mais jamais complètement. Car le processus de prise de conscience fait lui-même partie intégrante de l’expérience de l’univers. L’expérience ne s’arrête que dans l’awareness pure, lorsque la consciousness réalise que seule l’awareness existe et que le monde des pensées ne porte en lui aucune vérité.
Bien que l’essence de l’observateur soit l’immobilité, la présence, ou encore l’awareness pure, celui-ci ne peut jamais en avoir pleinement conscience. L’observateur ne peut pas être conscient qu’il est l’awareness, seule l’awareness a conscience d’être l’awareness. L’observateur est dans un processus de prise conscience que seule existe l’awareness. Il ne peut être qu’un observateur. Et c’est seulement en tant qu’observateur qu’il peut graduellement se relier consciemment à cette intelligence, à l’awareness.
Dissoudre l'identité de l'observateur
Mais au moment où il prend conscience qu’il est l’awareness, alors il n’est plus l’awareness. « Etre l’awareness » implique que l’observateur et l’observé fusionnent, ne fassent qu’un. Dès qu’il y a prise de conscience, l’observateur se détache de l’awareness. C’est alors que la consciousness et l’observateur apparaissent en dépendance [6].
L’observateur ne peut pas pleinement réaliser l’awareness, il ne peut que « devenir cet état ». Ce qui implique sa complète dissolution, c’est-à-dire l’abandon entier et total de lui-même. Lorsque l’identité de l’observateur se dissout dans l’unité, la consciousness retourne à l’awareness. Elle est dissoute et transcendée dans l’awareness. Seule l’awareness existe, incluant le potentiel de la consciousness qui n’existe alors plus en tant que telle.
Points clés
- Seule l’expérience permet d’agir, à travers un mouvement créé par des différentiels de conscience… et donc d’expériences.
- Basculer dans la présence, c’est ne plus être dans l’expérience en tant que mouvement. C’est accéder à l’immobilité intérieure, immobilité des pensées, des émotions, des sentiments.
- Lorsque l’identité de l’observateur se dissout dans l’unité, la consciousness retourne à l’awareness (l’immobilité, la présence).
Notes & références
[1] Lire Mon histoire pour comprendre ce que j’entends par là.
[2] Les ondes gamma siègent dans le cerveau de chaque personne, et sont les seules ondes à être présentes dans toutes les aires cérébrales. Cependant, elles ne s’activent que lorsque le cerveau entreprend une action durable et soutenue, comme lors d’un effort d’attention ou de mémorisation. Plus elles sont activées, plus elles font interagir les populations de neurones présentes dans les différentes aires cérébrales, pour finalement les conduire à avoir une activité synchrone.
[3] KRISHNAMURTI Jiddu, Les limites de la pensée, Paris : Le livre de poche, 2006, p.84
[4] Voir l’article Comment apprend-on ? à ce sujet
[5] Lire également l’article Observateur et physique quantique, et l’article Physique et métaphysique sur la question de l’observateur.
[6] Pour mieux comprendre le concept d’apparition en dépendance, consulter l’article Indéterminisme et intrication.
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