L'objectivité, angle mort de la science
8 FÉVRIER 2019 (mis à jour le 8 février 2024)
« Comment « l’illusion » d’un monde extérieur peut-elle aboutir à une science efficace ? » [1]
Table des matières
D’après ma propre expérience, au moment où ma conscience s’est élargie suite à une rupture d’anévrisme, la question d’un monde extérieur s’est posé en effet. Car dans l’état de présence que j’ai touché, l’objectivité et la subjectivité sont indistinguables. Il n’y a plus de frontières entre le monde intérieur et le monde extérieur. La sensation d’unité à laquelle j’ai accédé a dissous la séparation artificielle créée par le mental, tout simplement parce qu’elle a éclipsé, momentanément, le mental.
Si prendre l’illusion d’un monde extérieur pour une réalité n’aboutit manifestement pas à une science efficace – à en juger par la séparation actuelle de nos physiques – suivre la voie de l’unité peut mener vers une théorie d’unification.
Expérimentation / Expérience intérieure
Une science abordée en relation avec la conscience ne peut pas chercher à être objective. En fait, la notion d’objectivité s’évanouit d’elle-même lorsqu’on parle de la conscience. Car l’objectivité suppose une séparation entre le sujet et l’objet, alors que la conscience repose sur l’unité. Une science consciente n’a pas pour point de départ l’illusion de la séparation, mais la conscience de l’unité. Une science consciente n’a rien à voir avec une science objective.
C’est pourtant bien la quête d’objectivité qui guide actuellement la science. Elle passe par l’utilisation de la méthode scientifique, et en particulier l’expérimentation, non pas au sens de la perception immédiate – l’expérience intérieure – mais en tant que dispositif expérimental. Ce qui implique de séparer le sujet de l’objet, d’effacer le sujet, dans l’idéal complètement, et à défaut le plus possible.
Les scientifiques utilisent également la répétition des observations et le recours aux statistiques pour soustraire leur propre influence de ce qu’ils observent. Ces méthodes sont ainsi censées garantir que la connaissance scientifique décrit une « réalité objective », indépendante du sujet connaissant [2].
L’angle mort de la science
Le philosophe Michel Bitbol rappelle que l’expérience consciente est la condition préalable de l’objectivation. Nous avons en effet besoin de la conscience pour concevoir le monde comme étant composé d’objets séparés, sans aucune relation avec nous. C’est pourquoi selon lui la négation du sujet au profit des objets représente l’« angle mort de la science » [3]. Pour lui :
« Il y a l’œil de la science, mais l’œil de la science ne se voit pas lui-même. »
MICHEL BITBOL [4]
L’aspect le plus évident de la réalité – l’expérience intérieure – est perdu de vue en faveur de ses objets. On aboutit par conséquent à des théories de physique qui sont soit un miroir de la nature (« une représentation fidèle de la réalité telle qu’elle est en elle-même » [5], ou un relevé fidèle des phénomènes observés), soit une projection de l’esprit (« nous (…) surimposons nos concepts et nos vues sur notre image de la nature » [6]).
Systèmes isolés Vs Interdépendance
Je considère également que c’est une grande problématique. En somme, une science est objective si elle décrit le réel, si elle est conforme à la réalité. Supposons que l’on mette de côté d’une part ce qu’est la réalité et d’autre part la seule chose qui nous permet de l’appréhender, à savoir la vraie perception. Supposons donc que nous nous basons simplement sur une réalité consensuelle, il n’en reste pas moins que la science n’arrive même pas à être en conformité avec cette réalité.
Par exemple, notre physique est basée sur les systèmes isolés. Un système isolé est « (…) un système physique qui n’interagit pas avec son environnement : il n’échange ni énergie, ni matière, ni information » [7]. Je veux bien concevoir qu’un tel système existe et que ce serait d’ailleurs la raison logique pour laquelle notre physique se baserait dessus.
Par contre je ne peux pas cautionner la cohérence de notre démarche scientifique si la définition se poursuit ainsi : « Des systèmes véritablement isolés n’existent pas dans la réalité physique. Il y a toujours des interactions avec l’environnement (par exemple la gravité opérant entre la masse du système et les masses extérieures) » [8]. Donc, nous sommes conscients qu’un système isolé n’existe pas dans la réalité, mais nous basons quand même notre physique dessus… Où est l’objectivité dans cette démarche ? C’est plutôt incohérent, non ?!
Et même si l’on m’explique que « cependant, un système réel peut se comporter comme un système isolé avec une bonne approximation » [9], un système réel n’est pas un système isolé. Ce n’est pas la réalité, et encore moins la réalité dont nous sommes conscients. Alors pourquoi ne tentons-nous pas une autre approche ?
Tout interagit continuellement…
Nassim Haramein est lui-même passé par ce questionnement… et, heureusement, a tenté une autre approche. En faisant le choix a priori le plus complexe et le plus contraignant – celui de considérer les systèmes comme interdépendants – il aboutit finalement à une et une seule théorie de physique, plus simple, plus efficace et plus objective. Pour lui, c’est le fait de considérer les choses comme séparées les unes des autres qui a impliqué que :
« Nous n’avons pas compris l’électron et l’atome. Parce que l’électron et l’atome – et tout ce qu’il y a dans l’univers – sont interdépendants. Rien à voir avec des systèmes isolés (…) Quand vous commencez à comprendre [que tout interagit continuellement], alors vous pouvez concevoir une théorie réellement élégante. A ce moment-là, on peut imaginer correctement les particules subatomiques. »
NASSIM HARAMEIN [10]
…depuis l’infiniment petit
C’est également l’avis de Michel Bitbol, qu’il exprime avec d’autres mots. Il considère en effet que la physique a vraiment fait des progrès quand on a commencé à penser en termes de relation plutôt qu’en termes de propriétés intrinsèques. Le basculement s’est produit à l’arrivée de la physique quantique car alors, on ne pouvait plus raisonner sur les bases de la physique classique et présupposer que les corps avaient une existence et des propriétés intrinsèques. C’est selon lui l’un des enseignements fondamentaux de la physique quantique :
« Peut-être que la théorie quantique nous a révélé que la nature n’a pas de nature intrinsèque, peut être que c’est LA vraie révélation de la mécanique quantique. »
MICHEL BITBOL [11]
Il y a donc là un point de convergence très important autour de l’interdépendance, ou, comme le nommerait Michel Bitbol à l’instar des bouddhistes, « l’apparition en dépendance du connaisseur et du connu » [12]. Selon lui, il faudrait penser une théorie de physique à mi-chemin entre le « miroir de la nature » [13] et la « projection de l’esprit » [14], c’est-à-dire une théorie qui serait « l’expression d’une interaction entre nous et la nature. » [15]
Le mouvement de l’unité
Une dynamique entre expansion et contraction…
Dans la théorie de Nassim Haramein, les mouvements d’expansion et de contraction sont interdépendants. La dynamique qui les unit est une dynamique de feedback. Et dans mon expérience, elle s’est traduite par le fait que le mouvement qui m’a conduit à toucher l’état de présence à l’intérieur de moi a eu son pendant extérieur grâce à l’enchaînement favorables des événements, et en particulier la présence de Madeleine. Ce qui en retour a influencé mon expérience intérieure. J’ai également fait l’expérience du point d’équilibre entre les deux mouvements : l’immobilité – la présence – l’espace où tous les mouvements s’annulent… parce qu’ils s’unifient.
L’expression d’une interaction entre l’extérieur et l’intérieur, entre l’expansion et la contraction, correspond à ce que nous enseigne la nature. A notre échelle, nous pouvons observer cette dynamique lors d’une naissance par exemple. Elle se manifeste sous sa forme la plus tangible lors de l’accouchement par voie naturelle. Toute femme qui a accouché ainsi, tout bébé qui est né par ce processus, en ont fait l’expérience : pas d’expansion – de naissance – sans contractions. Ce sont les contractions qui déclenchent la dynamique de l’accouchement, grâce à laquelle le bébé peut être expulsé et naître. Il existe un feedback entre l’expérience de la mère et l’expérience du bébé.
L’expression d’une interaction entre l’intérieur et l’extérieur pourrait correspondre également à ce que nous enseignent les neurosciences quant à notre processus d’apprentissage. L’être humain apprend par retour d’information, et il apprend de manière optimale si ce feedback entre lui et l’extérieur est immédiat [16]. Nassim Haramein considère que ce processus d’apprentissage est constamment à l’œuvre dans l’univers, à toutes les échelles, grâce au feedback d’information qui repose sur la dynamique liant les mouvements d’expansion et de contraction.
…qui ne laisse souvent percevoir que l’expansion
Voir les choses de cette manière met au défi notre conception actuelle de l’univers qui veut que celui-ci soit seulement en expansion. Ce faisant, elle conduit nos théories de physique à ne tenir compte que d’une partie du mouvement. La contrepartie – qui nous est pourtant enseignée par la troisième loi de Newton en ces termes « pour toute action, il existe une réaction égale et opposée » – est complètement ignorée [17].
Pour Nassim Haramein, considérer seulement l’expansion revient tout simplement à passer à côté de la moitié de la dynamique de l’univers. Parce que l’expansion dépend de la contraction. Pourtant, nous faisons beaucoup d’études sur ce qui est en expansion et très peu sur ce qui est en contraction… parce que nos sens et nos instruments ne nous permettent pas d’observer la contraction. Dès lors, tout se passe comme si elle n’existait pas. Nous nous focalisons uniquement sur la partie en expansion, et nous basons notre science sur des explosions et des collisions de particules. Selon lui, le feedback d’information constant entre l’expansion et la contraction a lieu plus précisément entre le vide et la matière.
Ce type de retour d’information continu avait déjà été envisagé dès 1971 par le physicien David Bohm dans sa théorie de l’univers holographique, qui est l’objet du prochain article.
Points clés
- La négation du sujet au profit des objets représente l’angle mort de la science.
- Considérer l’interdépendance des systèmes mène à une science plus simple, plus efficace et plus objective.
- L’univers est en expansion ET en contraction. Il existe un feed-back continu entre ces deux mouvements, du vide quantique à la matière.
Notes & références
[1] BITBOL Michel, Plongée dans les abysses de la conscience avec Michel Bitbol (partie 2/2), In : Monde des grandes écoles et universités
[2] Ces propos sont inspirés du mémoire de Vincent Devictor, L’objectivité dans la recherche scientifique, 2011
[3] BITBOL Michel, La conscience a-t-elle une base matérielle ? In : Fleurs du dharma, Mind and Life XXVI : Esprit, cerveau et matière, p.5
[4] Ibid.
[5] BITBOL Michel. (2013, 18 janvier). La mécanique quantique : une théorie sans vue sur le monde ? In : Fleurs du dharma, Mind and Life XXVI : Esprit, cerveau et matière, p.1
[6] Ibid., p.2
[7] WIKIPEDIA. Système isolé
[8] Ibid.
[9] Ibid.
[10] HARAMEIN Nassim. (2003). Nassim Haramein at Rogue Valley Metaphysical Library (1) Traduction disponible ici.
[11] BITBOL Michel, La mécanique quantique : une théorie sans vue sur le monde ? op.cit., p.7
[12] Ibid. p.2
[13] Ibid. p.1
[14] Ibid. p.2
[15] Ibid.
[16] Voir les travaux de Stanislas Dehaene, Professeur au Collège de France, chaire de psychologie expérimentale, (2012, 20 novembre) Les quatre piliers de l’apprentissage, ou ce que nous disent les neurosciences
Voir également l’article Comment apprend-on ? pour une vue plus globale du processus d’apprentissage.
[17] HARAMEIN Nassim. (2003). Nassim Haramein at Rogue Valley Metaphysical Library (1), op.cit.
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