L'unité, de l'éther à l'espace
27 FÉVRIER 2019 (mis à jour le 9 juillet 2023)
« Nous sommes les enfants de l’éther, comme les poissons sont les enfants de l’eau. » [1]
Table des matières
Le concept d’un univers holographique est présent en filigrane dans les récits de nombreuses traditions anciennes. Celles-ci rapportent en effet l’existence d’une substance non-manifestée précédant la création manifestée. Elle peut prendre des noms différents selon les traditions. Elle revêt cependant toujours les mêmes caractéristiques : elle remplit l’espace, crée voire recrée perpétuellement la matière, imprègne chaque chose, unifie tout.
La physique classique a un temps considéré l’existence d’une substance qui remplirait une telle fonction d’unification : l’éther. L’objet de cet article est d’examiner comment les théories de physique ont fait évoluer le concept d’éther au cours du temps, et l’implication que cela a eu sur notre représentation du monde.
Mon expérience me dit que tout est lié (voir Mon histoire). Les liens qui ont fait de mon expérience ce qu’elle a été, et la manière dont ces liens se sont créées, est explicitée dans l’article L’univers est-il déterministe. J’y mets en avant la circulation de l’information, dans ce que certains appelleraient l’éther, ou dans ce que Nassim Haramein appelle l’espace. Mon propos est de voir ici comment ce physicien a en quelque sorte réhabilité le concept d’éther, qui sous-tend sa théorie du champ unifié.
L’éther dans les anciennes traditions
Les textes fondateurs de l’hindouisme, les Upanishad, parlent d’une substance primordiale, nommée Prakriti. De cette substance part et retourne toute existence physique. Il existe également selon ces textes un deuxième niveau de manifestation, l’éther. Il est décrit comme une substance invisible présente en toute chose. En se densifiant au travers des manifestations matérielles, l’éther devient visible. Il produit les mouvements, alors identifiés au prana.
Pour les Amérindiens, l’éther serait la grand-mère araignée. Celle-ci tisserait depuis les origines du monde la toile de l’univers, et en assurerait l’unité. Une métaphore également connue dans la philosophie bouddhiste, sous le nom de filet d’Indra. Il s’agit d’un filet multidimensionnel dont chaque nœud est orné d’un joyau qui se reflète dans les autres. Ainsi, chaque joyau contient la réflexion de tous les joyaux, à l’infini… comme dans un univers holographique. Le filet d’Indra illustre chez les bouddhistes le concept de la vacuité, ou l’apparition en dépendance des phénomènes [2]. Pour eux, tout a une influence sur tout, même si l’on ne s’en rend pas compte car les fils de la toile universelle sont invisibles.
L’éther, de la physique classique à la physique quantique
La physique classique a repris à son compte le concept d’éther, qu’elle a cependant détourné. En effet, les physiciens cherchaient d’une part une représentation des forces qui s’exercent à distance, comme la gravitation. Et d’autre part une représentation du support supposé propager la lumière. Ce faisant ils se sont éloignés du contexte d’origine de l’éther en lui conférant un statut très discutable puisqu’ils l’ont rendu matériel… tout en ne l’incluant pas dans les équations…
En fait, de Newton à Einstein et jusqu’à la physique quantique relativiste en 1930, les physiciens ont eu des attitudes contradictoires par rapport à l’éther. Ils ont déclaré successivement qu’il devait exister, puis qu’il n’existait pas, puis qu’il pourrait exister mais que les équations existant sans lui, il n’était pas nécessaire d’en tenir compte. Sauf que dans les deux derniers cas, en conservant la référence d’origine à l’éther, on a induit l’idée que les choses sont séparées les unes des autres. Et cette idée a des implications fondamentales sur notre manière de considérer notre relation à nous-mêmes, aux autres et à l’univers.
La théorie quantique des champs
En 1930, la physique quantique relativiste se développe. La théorie quantique des champs qui découle de ces avancées, a pour but d’introduire dans la mécanique quantique les concepts de la Relativité restreinte proposée par Einstein.
Le monde quantique devient alors une mer d’énergie dynamique. Elle fourmille de particules éphémères en perpétuelle création et dissolution. Dès lors, le vide n’est plus vide – ainsi qu’on le croyait jusque-là – mais rempli de champs d’énergie électromagnétique. Ceux-ci conservent une énergie résiduelle lorsque la température descend au zéro absolu [3]. Une énergie appelée énergie du point zéro ou énergie du vide. Elle représente l’énergie qui subsiste lorsque toute autre forme d’énergie a été enlevée.
Il s’agit, en somme, d’une forme d’énergie rappelant les propriétés de l’éther, même si elle n’est pas nommée comme telle. On parle de fluctuations du vide quantique. Le calcul montre que l’énergie totale du point zéro est infinie. Comment, dès lors, l’utiliser dans les calculs ?
Les physiciens utilisent un processus de renormalisation qui permet de rendre finie cette valeur infinie. Cependant, si l’énergie du point zéro n’est effectivement plus infinie, elle n’en reste pas moins gigantesque puisque sa densité est de 1093g/cm3. C’est-à-dire 10 suivi de 93 zéros… !
En parallèle de ces développements, d’autres découvertes sont faites au niveau cosmologique : en 1922, le physicien russe Alexandre Friedmann publie l’article fondateur démontrant l’expansion de l’univers. Et en 1998 deux équipes internationales de physiciens [4] mettent en évidence le fait que cette expansion s’accélère. Afin de décrire la force qui rend compte de ce phénomène, ils sont amenés à supposer – sans à ce jour qu’elle ait été détectée – l’existence d’une nouvelle énergie : l’énergie noire. Celle-ci se comporte comme une force qui s’oppose à l’attraction gravitationnelle, expliquant ainsi l’accélération de l’expansion de l’univers.
L’énergie noire et la constante cosmologique d’ Einstein
« Historiquement, la seule forme d’énergie (hypothétique) se comportant comme de l’énergie [noire] était la constante cosmologique, proposée dans un autre contexte par Albert Einstein en 1916 (…). La motivation initiale d’Einstein restait cependant fort éloignée de celles qui motivent l’intérêt actuel pour l’énergie [noire]. En effet, en 1916, date à laquelle l’expansion de l’univers n’était pas connue, Albert Einstein considérait que l’univers devait être statique, aussi lui fallait-il introduire une nouvelle force s’opposant à l’attraction gravitationnelle. Le candidat idéal fut trouvé avec la constante cosmologique, qui permettait, dans certaines conditions très particulières de contrebalancer exactement l’effet attractif de la force gravitationnelle. » [5]
Lorsque l’expansion de l’univers fut découverte, Einstein est revenu sur l’ajout de ce paramètre. Néanmoins, certains physiciens estiment que l’énergie noire correspondrait à la densité moyenne d’énergie du vide sur des échelles cosmologiques, densité modélisée par la constante cosmologique postulée par Einstein.
En pratique, ce n’est pas si simple car la valeur estimée de l’énergie noire est de 10-29g/cm3, soit une différence de 122 ordres de magnitudes par rapport à l’énergie du vide quantique (1093g/cm3). Cette prédiction est d’ailleurs connue comme la pire prédiction ayant jamais été faite en physique : la catastrophe du vide. Et elle a réduit à néant tout espoir de lier l’échelle quantique et l’échelle cosmologique par une forme d’énergie aux propriétés proches de celles de l’éther.
Constante cosmologique = énergie du vide quantique
En 2011, cependant, Nassim Haramein a démontré que la valeur de la densité d’énergie du vide quantique et celle de la constante cosmologique étaient correctes toutes les deux. Elles sont simplement inégales en apparence parce qu’elles sont exprimées sur deux échelles différentes. Vous pouvez lire l’article Gravité quantique et proton de Schwarzschild pour comprendre la manière dont elles sont liées, et en fin de compte, le fait que la matière noire n’existe pas [6].
Dans le monde de Nassim Haramein, finalement, tout semble se passer comme si l’éther existait. Rappelons qu’à l’origine, pour les physiciens, l’éther était supposé faire voyager les ondes lumineuses. D’une part ces physiciens présupposaient donc le mouvement rectiligne uniforme de la lumière dans le vide. Et d’autre part ils avaient besoin d’un éther matériel pour tenter de rendre compte de ce mouvement.
Tout est connecté
Nassim Haramein montre qu’en fait, le véritable mouvement de la lumière n’est pas celui que nous percevons (voir l’article Mouvement et perception). En ce sens, nous pourrions dire que la lumière ne voyage pas. Alors de deux choses l’une : soit nous réalisons qu’elle ne voyage pas, et par conséquent la question de l’éther matériel n’a pas de raison d’être. Soit nous sommes leurrés par nos observations – parce que nous ignorons la dynamique réellement à l’œuvre dans l’univers – et croyons alors que la lumière voyage. Comme nous ne détectons pas la présence de l’éther matériel, nous arrivons à la conclusion incorrecte que les choses ne sont pas reliées entre elles.
Mais cette déduction est erronée non pas parce que les choses n’ont effectivement pas de lien entre elles, mais parce que les postulats de départ – la lumière voyage et l’éther est matériel – sont incorrects.
Nassim Haramein considère que tout dans l’univers est connecté. Cependant, il ne parle pas d’éther. Il n’a pas besoin de le faire. Il dit simplement que tout est connecté par l’espace, le seul élément commun à toutes les échelles. Comme il montre que la lumière ne voyage pas, cela coupe court à toute spéculation au sujet de l’éther. Cela évite également de faire référence à toute l’explication que l’on vient d’évoquer.
En fin de compte, il propose une théorie d’unification qui ne fait pas appel à l’éther matériel de certains physiciens tout en révélant l’éther immatériel des traditions anciennes !
Points clés
- L’énergie du vide quantique, ou énergie du point 0, est infinie.
- [catastrophe du vide] Il existe une différence de 122 ordres de magnitudes entre la valeur estimée de l’énergie noire (10-29g/cm3) et la valeur de l’énergie du vide quantique renormalisée (1093g/cm3).
- Ces valeurs sont toutes les deux correctes bien qu’inégales en apparence parce qu’elles sont exprimées sur deux échelles différentes.
Notes & références
[1] WILCZEK Frank, Prix Nobel de Physique 2017
[2] Pour mieux comprendre le concept d’apparition en dépendance, vous pouvez également consulter l’article Indéterminisme et intrication.
[3] Le zéro absolu représente la température la plus basse qui puisse exister, fixée par convention à – 273,15°C.
[4] Le Supernova Cosmology Project, mené par Saul Perlmutter, et le High-Z supernovae search team, mené par Adam Riess, leur vaudra l’obtention du prix Nobel de physique en 2011.
[5] WIKIPEDIA. Energie noire
[6] Voir également l’article (en anglais) de la physicienne Amira Val Baker de la Resonance Academy, The vaccum catastrophe, 2019.
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