Mouvement & perception
15 MARS 2019 (mis à jour le 7 février 2024)
« Un mouvement ancré dans l’univers du réel peut-il jamais parvenir à la vérité ? » [1]
Table des matières
Il y a quelques années, j’ai fait l’expérience d’une perception du mouvement assez inhabituelle. C’était lors d’un vol en parapente, une activité à laquelle je me livrais pour la première fois…
Une expérience entre perception et réalité du mouvement
Jusqu’ici tout va bien…
J’appréhendais beaucoup le décollage. J’étais totalement focalisée sur l’idée que j’allais sauter dans le vide. Et ce n’est pas rien de le dire parce qu’à l’époque, le vide était pour moi absolument vide ! Toujours est-il qu’au moment de décoller, non seulement je ne pensais pas au vol en lui-même, mais j’étais très loin de penser à l’atterrissage.
A mon grand soulagement, j’ai découvert qu’en parapente on ne saute pas dans le vide. On court, on laisse le vent s’engouffrer dans la voile et on décolle simplement en se laissant porter. Tranquillisée par ce départ finalement très fluide, j’ai commencé à me détendre et à profiter du vol. En fait j’alternais entre moments de détente et petites frayeurs habilement dispensées par un moniteur un peu taquin ! Deux vrilles et une prise de commandes fortuite plus tard, tout allait cependant à peu près bien.
Rien ne va plus
C’est alors que l’atterrissage s’est profilé. Et quelque chose de vraiment, vraiment inattendu s’est produit. Ma descente physique était régulière, pourtant j’avais la perception d’arriver vers le sol par saccades. Comme si l’image que je percevais du sol était figée et que, soudain, de l’énergie était relâchée pour former une image différente.
Il n’y avait pas de régularité dans la chronologie, si bien que mon cerveau vivait un décalage entre ce qu’il voyait et ce qu’il s’attendait à voir. Les images se suivaient mais ne s’enchaînaient pas. Il manquait des images intermédiaires. Paradoxalement, j’avais la sensation que le sol arrivait vite. Trop vite. Parce que pendant que mon cerveau tentait de combler les images manquantes, une nouvelle image arrivait. Elle n’était pas dans la continuité de la précédente, et elle m’informait que j’étais beaucoup plus proche du sol que ce qu’il avait estimé.
Ce manque de constance dans ma progression était très inconfortable. J’aurais voulu fermer les yeux pour stopper cette étrangeté, mais cette option était parfaitement inenvisageable. En effet, le moniteur avait bien insisté sur une chose : dès que mes pieds seraient en contact avec le sol, je devrais courir pour accompagner le mouvement d’atterrissage. J’avais déjà du mal à évaluer le moment où cela se produirait en ayant les yeux ouverts, je ne pouvais pas me permettre de les fermer !
J’espérais aussi probablement que tout rentrerait dans l’ordre avant le point d’impact. Mais ce ne fut pas le cas. Je n’ai donc pu me mettre à courir que lorsque j’ai senti le moniteur courir derrière moi. Et surtout me dire énergiquement de le faire aussi ! Finalement, quelques secondes après avoir rejoint la terre ferme, mes perceptions sont redevenues habituelles.
Perception et interprétation physique
Un peu de philosophie
Dans l’un de leurs dialogues, David Bohm et Jiddu Krishnamurti exposent les bases de la relation entre le mouvement linéaire que nous percevons et prenons pour la réalité, et le véritable mouvement, à l’origine du mouvement linéaire.
Krishnamurti : « (…) Le néant a (…) son propre mouvement, sous forme d’une énergie – restant à définir – qui peut alors agir au sein de la réalité (…) Le mouvement que nous connaissons, c’est le temps – la distance entre ici et là-bas etc. (…) Il existe un néant dont le mouvement n’est ni le mouvement de la pensée ni celui du temps.
David Bohm : Une théorie dit, paraît-il, que ce mouvement dont vous parlez – l’ « atemporel » – existe. Il ne s’inscrit pas dans le temps, mais c’est dans le temps qu’il se manifeste, qu’il se révèle.
Krishnamurti : Nous disons la même chose mais différemment (…) » [2]
Une illusion tenace
Nassim Haramein a un point de vue très similaire. Pour lui, le mouvement rectiligne uniforme – chers aux référentiels inertiels et donc aux systèmes isolés – correspond simplement à notre perception du mouvement à notre échelle de réalité. Mais rien ne bouge de cette manière. Le véritable mouvement a lieu vers – et à partir de – l’échelle subatomique, et c’est la raison pour laquelle nous n’en faisons pas directement l’expérience. Plus exactement, ce mouvement est celui de la boucle de rétroaction, du feedback continuellement à l’œuvre entre le vide et la matière.
On pourrait le décrire comme le fait qu’à l’échelle quantique la lumière apparait, disparait, apparait, disparait… sans arrêt. Et chaque fois, elle réapparaît à un emplacement très proche mais néanmoins différent du précédent, donnant l’impression, à notre échelle, qu’elle a un mouvement rectiligne uniforme ainsi que des attributs physiques comme une vitesse mesurable. Ce qui se passe en réalité, c’est que la matière se fait et se défait sans cesse à la vitesse de la lumière.
Dès lors, la perception de ce mouvement sous-jacent nous échappe. Et non seulement nous ne percevons pas ce mouvement mais nous percevons à la place un mouvement continu. Lorsque nous déplaçons notre main d’un point A à un point B par exemple, le mouvement alors formé et « ancré dans l’univers du réel » n’est pas le véritable mouvement à l’œuvre. Plutôt, notre main apparaît et disparaît dans une dynamique d’expansion / contraction.
Du cinéma bien réel
Les pellicules argentiques donne une bonne analogie de ce processus : les images successives et légèrement différentes y sont imprimées et entrecoupées de « vide ». Lorsque le film est projeté à la bonne vitesse pour nous – 24 images par seconde au cinéma – cela engendre l’illusion d’un mouvement continu. Cette illusion du mouvement résulte de ce que l’on appelle l’effet phi, qui, conjugué à la persistance rétinienne, permet au cerveau de relier automatiquement et de manière cohérente deux images fixes successives.
Mon expérience en parapente m’a en quelque sorte montré un aperçu du mouvement sous-jacent à celui que l’on perçoit à notre échelle et qui nous donne l’illusion d’une continuité dans la forme.
L’illusion de la mesure
« Toute mesure est une illusion. »
DAVID BOHM [3]
A mouvement illusoire, mesure illusoire. Lorsque nous calculons par exemple la vitesse de déplacement de notre main d’un point A à un point B, nous considérons implicitement que ce mouvement est linéaire, et qu’il est en relation uniquement avec nous. Mais si l’on envisage, à l’instar de Nassim Haramein, que la réalité est tout autre et que tout est connecté dans l’univers, nous ne pouvons plus calculer la vitesse de ce mouvement de la façon dont nous le faisons habituellement. A la vitesse de déplacement entre A et B, il faut maintenant ajouter la vitesse de rotation de la Terre sur son axe, plus la vitesse de rotation de la Terre autour du soleil, plus la vitesse de rotation de la galaxie, etc.
Autrement dit, non seulement le mouvement rectiligne uniforme n’a plus rien d’un mouvement rectiligne uniforme, mais la mesure effectuée n’a plus rien de significatif. Certes, cette mesure correspond au mouvement que nous percevons, et, en cela, elle est valable et utile dans notre cadre de référence car les vitesses y sont très éloignées de celle de la lumière. Cependant, si nous n’avons pas conscience que l’on doit élargir ce cadre afin d’avoir une vision plus juste des choses, nous passons à côté d’une réalité essentielle, à savoir la vraie nature du mouvement, et l’illusion de la mesure.
Prendre la mesure de la conscience
De manière plutôt inattendue, la problématique liée à la mesure physique nous ramène directement au questionnement lié à la réalité de la conscience . Le point de vue du cardiologue néerlandais Pim Von Lommel est éclairant à ce sujet :
« (…) aujourd’hui la science ne se limite qu’à ce qui est visible et tout ce que vous ne pouvez pas mesurer n’existe pas. Alors apparaît le problème de la conscience car on ne peut pas mesurer la conscience. Il n’est pas possible de prouver le contenu de la conscience. La science doit prendre en compte les critères subjectifs de l’être humain et pas seulement les critères objectifs. La transformation est l’aspect objectif d’une expérience subjective [par exemple : le changement qui s’opère chez les patients ayant vécu une EMI, qui en général n’ont plus peur de la mort] (…) Il n’y a pas de mesure de la conscience pour la science matérialiste, il n’y a que la matière, donc pour ces scientifiques la conscience est une illusion.»
Pour ces scientifiques, la conscience est une illusion, et la mesure une réalité. Pour Nassim Haramein, la conscience est une réalité – elle génère la matière – et la mesure dépend du cadre de référence considéré.
Arrêter l’infini ?
Finalement, la problématique de la mesure nous conduit tout droit à celle de l’infini. Le fait que nos équations prédisent l’infini, dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand, pose en effet une nouvelle question : jusqu’à quel point une mesure peut-elle avoir un sens dans un univers infini ? Pour beaucoup de physiciens, cette question ne se pose pas dans la mesure, justement, où ils cherchent à arrêter l’infini. En physique quantique notamment, ils utilisent, comme nous allons le voir dans le prochain article, un processus de renormalisation pour rendre leurs calculs possibles… et légitimer la réalité de leurs mesures…
Points clés
- Tout mouvement rectiligne uniforme est une illusion engendrée par notre perception.
- Le seul mouvement qui ait lieu se fait entre le vide et la matière, par boucles de rétroaction.
Notes & références
[1] KRISHNAMURTI Jiddu et BOHM David, Les limites de la pensée, Paris : Le livre de poche, 2006, p.83
[2] Ibid., p.118
[3] Ibid, p.209
[4] VAN LOMMEL Pim. (2011, Août). [Vidéo]. Expérience de conscience et NDE- Dr Pim Van Lommel 6/9
[5] Pour explorer davantage le thème de la conscience, voir les thématiques Mental & conscience et Cerveau, conscience & EMI.
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