Réalité & physique quantique
20 JANVIER 2019 (mis à jour le 15 février 2024)
Table des matières
Dans cet article, je vous invite à plonger dans l’étrange réalité de l’infiniment petit. J’ai pris le parti de présenter la théorie quantique du point du vue du philosophe des sciences Michel Bitbol. Il y a trois raisons à cela.
Premièrement je trouve que l’approche de Michel Bitbol redonne du sens à une théorie empreinte de paradoxes et en quête, me semble-t-il, de cohérence. Pour cette raison, elle a, deuxièmement, l’avantage de créer un pont avec la théorie de Nassim Haramein. Démarche qui prend tout son sens quand, troisièmement, il m’est impossible de présenter la théorie quantique du point de vue de Nassim Haramein ! En effet, pour ce-dernier, la théorie quantique actuelle n’a aucune pertinence étant donné que les particules subatomiques ne sont pas envisagées correctement.
Selon lui, l’intelligence d’une nouvelle théorie ne peut venir qu’avec la prise de conscience que tout interagit continuellement. Et c’est là que l’approche de Michel Bitbol est intéressante. Parce qu’elle montre, justement, qu’envisager les phénomènes sous l’angle relationnel éclaire les supposés paradoxes quantiques sous un jour nouveau.
Mais c’est quoi la théorie quantique ?
Les informations suivantes proviennent d’une présentation que Michel Bitbol a faite à l’institut Mind and Life en janvier 2013. Il rappelle tout d’abord que « la théorie quantique est seulement un outil mathématique pour prédire des résultats de mesure avec certaines probabilités » [1]. Pour cela, deux choses sont nécessaires :
- la fonction d’onde initiale Ψ (psi), qui permet de calculer la probabilité d’une mesure au temps 0,
- et une équation d’évolution de la fonction Ψ – l’équation de Schrödinger – qui permet de calculer cette probabilité à un temps ultérieur.
Voilà ce qu’est la théorie quantique, ni plus, ni moins : un outil efficace pour représenter une amplitude de probabilités.
Maintenant, toute la question est de savoir ce que cette théorie nous apprend sur la réalité. En fait, la vision du monde qui va avec la théorie quantique dépend de l’interprétation de ce que représente la fonction Ψ.
La réalité est ailleurs
Quand on regarde l’histoire de la physique quantique, trois types de réponses apparaissent. Le premier dit que Ψ décrit la réalité, et Ψ étant une fonction d’onde, il en résulte que la réalité doit être de nature ondulatoire. Ça c’était le point de vue du physicien Erwin Schrödinger. Le second dit que Ψ n’est pas censée représenter la réalité, il s’agit juste d’un outil mathématique servant à calculer la probabilité de présence des particules. Et le troisième est une conception mixte, où Ψ ne représente pas totalement la réalité. Les particules sont alors accompagnées d’une onde qui guide leur chemin dans le monde. C’était notamment le point de vue de David Bohm.
Michel Bitbol propose une quatrième réponse :
« Peut-être que la théorie quantique nous a révélé que la nature n’a pas de nature intrinsèque, peut être que c’est LA vraie révélation de la mécanique quantique. Ce n’est pas une révélation à propos de la nature de la nature, mais c’est une révélation à propos du fait que peut-être la nature n’a aucune nature intrinsèque. C’est une possibilité. »
MICHEL BITBOL [2]
Ainsi, Michel Bitbol invite à repenser les particules. Pour les considérer non pas comme si elles avaient une existence intrinsèque, mais comme si leur existence ne dépendait que de leur relation.
Un autre point de vue : l’apparition en dépendance
Autant la physique classique peut fonctionner en supposant que les corps ont une réalité et des propriétés intrinsèques – comme par exemple la masse – autant ce n’est pas le cas de la physique quantique. En fait, lorsque cette-dernière a été élaborée, au début du XXe siècle, on a naturellement cherché à lui appliquer ce mode de pensée, pour s’apercevoir encore aujourd’hui que c’est un vrai défi. Pourquoi ? Parce que les particules en physique quantique ont uniquement des propriétés relatives à un acte d’observation. Les propriétés intrinsèques sont remplacées par des observables, des caractéristiques relationnelles.
C’est pourquoi pour Michel Bitbol, le plus grand enseignement de la physique quantique est peut-être le suivant : les corps existent seulement dans une relation d’apparition en dépendance. Applicable également aux objets cosmologiques, ce renversement de perspective est par ailleurs très proche des enseignements bouddhistes. Le Dalaï Lama l’a rappelé lors de cette présentation, disant que « parler d’existence indépendante n’a aucune signification » [3].
Afin d’illustrer ce concept de relation d’information, je vous propose de nous intéresser à l’expérience du chat de Schrödinger.
Une explication simple de l’expérience du chat de Schrödinger
« S’il y a une chose à retenir [de la mécanique quantique], c’est que la réalité des choses se trouve dans les interactions et non dans les objets. »
MARC HENRY [4]
L’expérience du chat est une expérience de pensée [5] à laquelle s’est livré le physicien, philosophe et théoricien scientifique autrichien Erwin Schrödinger en 1935. Cette expérience – virtuelle donc – consiste à enfermer un chat dans une boite contenant un dispositif qui tue l’animal dès qu’il détecte la désintégration d’un matériau radioactif. Cette désintégration a la probabilité 1/2 de se produire, et de l’extérieur, on ne peut pas savoir si elle a effectivement lieu ou pas.
Aussi inattendu que ce soit, cette expérience est assez facilement transposable à la mienne (lire Mon histoire), moyennant les correspondances suivantes :
- Le chat : moi
- La boite : mon appartement, à l’intérieur duquel je me serais trouvée seule
- Le matériau radioactif : un anévrisme dont l’existence aurait été connue.
Notons que cet anévrisme étant situé à l’intérieur de mon crâne, et non pas à l’extérieur comme l’est le matériau par rapport au chat, cela engendre un niveau d’information fractal supplémentaire. Cependant, cela ne pénalise pas la compréhension de l’expérience de pensée.
- La probabilité de désintégration du matériau de 1/2 : une « chance » sur 2 que l’anévrisme se rompe
- Le dispositif de détection : une hémorragie qui aurait été fatale
- Le témoin extérieur : quelqu’un qui aurait eu connaissance des informations précédentes, sans moyen de savoir si la rupture avait effectivement lieu ou pas.
Quand la physique quantique nous rattrape
Ces données peuvent être interprétées de deux points de vue. Du point de vue classique, il n’y a que deux possibilités : soit la rupture d’anévrisme a lieu, soit elle ne se produit pas. Mais du point de vue de la physique quantique, le fait que le témoin n’ait pas de visibilité sur ce qui se passe à l’intérieur de mon appartement – et a fortiori à l’intérieur de mon crâne – crée un nouveau concept appelé superposition.
Il s’agit en quelque sorte d’une nouvelle possibilité dans laquelle on considère l’anévrisme dans ses deux états possibles : être rompu et ne pas être rompu. En d’autres termes, dans l’état de superposition, l’anévrisme est à moitié rompu et à moitié intact.
Dans l’expérience du chat, le matériau radioactif est à moitié désintégré et à moitié non-désintégré. Selon la théorie de la superposition quantique, si l’on suit toute la chaîne d’événements, on en arrive à l’étrange conclusion que le chat doit être à moitié mort et à moitié vivant. Ce qui de notre point de vue est totalement absurde, il suffit que l’on ouvre la boite pour lever l’ambigüité : le chat est alors soit mort soit vivant.
Moralité : nous ne pouvons pas accepter pour un chat l’état de superposition que l’on pourrait accepter pour un atome. Et pour ma part, l’acceptation est encore moins évidente en ce qui concerne ma propre personne qu’en ce qui concerne le chat ! Parce que moi je n’ai pas fait une expérience de pensée mais une expérience réelle !!
Quand la relation d’information explique tout
Toujours est-il qu’en poursuivant le raisonnement, on voit poindre une contradiction entre ces deux affirmations :
- « avant qu’on ouvre la boite, l’état du chat est à moitié vivant et à moitié mort »
- « une fois qu’on a ouvert la boite, le chat est soit dans l’état vivant soit dans l’état mort ».
Mais si l’on raisonne en termes d’informations au lieu de raisonner en termes d’« état », la contradiction ne tient plus. Car, comme le souligne Michel Bitbol, « l’état quantique » n’exprime en fait rien à propos du chat. Plutôt, il exprime un état d’information qui relève de la relation entre le chat et nous. Nous avons simplement une information plus complète une fois que l’on a ouvert la boite. Ainsi, pas de contradiction, simplement la relation entre le chat et nous qui a changé au moment où nous avons ouvert la boîte, vu à l’intérieur, et accédé à un niveau supplémentaire d’informations.
L'itinéraire bis de l'information
Reprenons la comparaison entre mon expérience et celle du chat. Dans mon cas, deux éléments complexifiaient l’accès aux informations relatives à mon état de santé :
- le défaut de connaissance de la présence de l’anévrisme,
- et par conséquent le défaut de connaissance du dispositif « anévrisme / rupture / hémorragie », enfermé qui plus est dans ma boite crânienne.
Cependant, malgré ce niveau de complexité supplémentaire, j’ai eu pour ainsi dire deux avantages par rapport au chat. Premièrement, le fait que Madeleine n’a pas eu besoin d’« ouvrir la boite » pour accéder à l’information « rupture d’anévrisme ». Et deuxièmement, le fait que cette information supplémentaire a permis qu’elle intervienne afin que l’hémorragie soit maîtrisée.
Ces deux avantages montrent d’une part que l’accès direct à l’information est possible – avec un peu d’entraînement tout de même ! – et ne dépend pas du niveau fractal considéré. Et d’autre part, ils soulignent les propos de Michel Bitbol. Car c’est bien la relation – liée à l’information – qui s’est établit entre Madeleine et moi à ce moment-là qui a été déterminante.
Points clés
- Comprendre la physique quantique c’est penser l’existence des particules non pas du point de vue de leurs propriétés mais de leurs interactions.
- L’état quantique exprime un état d’information qui relève de la relation entre nous et ce que l’on observe.
Vous pouvez poursuivre votre exploration de la physique quantique en lisant les articles sur la dualité ondes / particules et l’indéterminisme et l’intrication quantiques. Spoiler : ils peuvent aussi être expliqués simplement si on les aborde sous l’angle de la relation !
Notes & références
[1] BITBOL Michel. (2013, 18 janvier). La mécanique quantique : une théorie sans vue sur le monde ? In : Fleurs du dharma, Mind and Life XXVI : Esprit, cerveau et matière, p.5
[2] Ibid.
[3] SA SAINTETE LE DALAÏ-LAMA. (2013, 18 janvier). Dissiper les propriétés intrinsèques et l’existence intrinsèque, In : Fleurs du dharma, Mind and Life XXVI – Esprit, cerveau et matière, p.11
[4] HENRY Marc. (2011, janvier-février), Interview de Marc Henry, In : Nexus n°72, p.57
Marc Henry est ingénieur, chercheur associé au CNRS, directeur du laboratoire de chimie moléculaire de l’état solide et professeur de chimie inorganique à l’université de Strasbourg.
[5] Une expérience de pensée consiste à résoudre un problème en utilisant uniquement l’imagination. Ce n’est pas une démonstration, mais plutôt une illustration.
Sur le même thème