- 17 novembre 2018
Acte 1 : Remue méninges
19 décembre 2013, 19h30 — Je suis à la boulangerie, j’attends mon tour pour acheter un sandwich. J’ai une sensation de lourdeur au niveau de la tête. Peut-être parce que je ne me sens pas bien dans ce lieu, il y a beaucoup de monde et il fait chaud. Peut-être parce que j’ai eu une journée intense, empreinte d’un sentiment d’effervescence. J’ai croisé des personnes d’horizons variés, je suis passée d’une réunion à l’autre : j’ai l’impression d’avoir vécu cinq journées en une. Pour toutes ces raisons, au moins, j’ai besoin de prendre l’air. Alors sitôt mon sandwich en main, je sors respirer quelques grandes bouffées d’oxygène… qui m’apaisent.
La journée n’est pas finie mais c’est l’heure de la détente, j’ai rendez-vous avec James [2], mon compagnon. Nous sommes de sortie sur Paris, à 15 km de la maison. Nous avons confié notre fille de 22 mois, Léna [3], aux bons soins d’une amie pour la soirée. Curieusement et pour la première fois depuis plus de quatre mois, Léna n’a pas voulu – ou n’a pas pu – faire la sieste cet après-midi chez sa nourrice.
19h59 – Je viens de parler à James au téléphone, il est sur le point d’arriver.
« La Vie vous donne n’importe quelle expérience qui est la plus aidante pour l’évolution de votre conscience. Comment savez-vous que c’est l’expérience dont vous avez besoin ? Parce que c’est l’expérience que vous avez à ce moment. » [1]
20h – Panique à bord
La fissure d’un anévrisme vient de provoquer un saignement dans l’hémisphère droit de ma tête, au niveau des méninges. Les méninges se situent entre la boite crânienne et le cerveau. Ce sont les tissus qui enveloppent et protègent le système nerveux central. Toute perte de sang dans les méninges forme un hématome qui entraîne une pression à l’intérieur de la boite crânienne. Celle-ci étant inextensible, l’hématome comprime alors le cerveau. C’est pourquoi, même si pour l’instant je suis très loin de réaliser ce qui se passe réellement dans mon corps, je ressens un violent et soudain mal de tête. Quelque chose d’inhabituel est en train de se produire. La soudaineté et l’intensité de la douleur focalisent complètement ma pensée sur cet état de fait.
Une douleur aiguë et saisissante
Bien que mon corps ne m’envoie aucun autre signal inquiétant, je préfère m’asseoir sur le petit trottoir juste à côté pour attendre James : si je dois m’évanouir, je tomberais de moins haut. Il me vient à l’idée que j’ai peut-être la première migraine de ma vie. Mais comment en être sûre puisque, justement, je n’en ai jamais eue ? Je n’ai pas de Doliprane sur moi et quand bien même ce serait le cas, j’ai du mal à me convaincre qu’un tel médicament pourrait stopper cette douleur aiguë et saisissante. La peur commence à me gagner : je suis toute seule, assise sur un trottoir, et je peux potentiellement perdre conscience.
Je n’ai pourtant pas l’impression que c’est ce qui va m’arriver. Mais, au cas où et avant qu’il ne soit trop tard pour le faire, j’essaie de joindre James au téléphone. Pas de réponse. Même si je sais qu’il ne va pas tarder, je préfèrerais qu’il sache dès que possible ce qui se passe. Ma situation relève peut-être d’une urgence. Alors je rappelle encore – peut-être dix fois – et, enfin, il répond. Devant mon insistance à venir auprès de moi, il laisse l’achat de son sandwich en plan.
20h10 – Une intuition salutaire
Il est enfin là et m’emmène m’asseoir à la terrasse du café le plus proche. Il me demande quels sont mes symptômes. A ce moment-là, j’ai toujours un mal de tête inouï, mais aussi une légère nausée et des fourmillements dans les mains. Plus tard, il me dira avoir de suite pensé à un Accident Vasculaire Cérébral (AVC). Je lui suis reconnaissante de ne pas me l’avoir dit sur le moment, parce que pour ma part, j’étais vraiment très loin de penser à cela. Et considérer cette perspective m’aurait sans doute fait vivre les choses très différemment. Mais avait-il lui-même envie de croire à cette possibilité ? Probablement pas, et c’est sans doute la raison de son silence.
Toujours est-il qu’au vu de mon état et de mon manque d’assurance évident à me mettre en mouvement, il envisage deux options : prendre un taxi, rentrer à la maison et suivre l’évolution de la situation, ou bien appeler directement les pompiers. C’est difficile pour moi de me résoudre à choisir l’une ou l’autre de ces possibilités : faire une croix sur la soirée est déjà dur à accepter, alors envisager, en plus, qu’il puisse m’arriver quelque chose de grave… cela me semble presque impossible. James décide finalement de jouer la sécurité en appelant les pompiers. D’un air tellement déterminé que je capitule.
20h25 – Les secours arrivent
Les pompiers arrivent et nous installent dans leur camion. Ils me demandent ce qui m’arrive et me posent une série de questions. Je me concentre pour répondre plutôt que de me focaliser sur mon mal de tête. Je m’entends dire « non » à tout, ce qui donne, en substance : pas de café, pas de cigarettes, pas d’alcool ou presque, pas de cholestérol, pas d’hypertension, pas d’antécédents médicaux ni familiaux, pas de photophobie, pas d’hypoglycémie… D’ailleurs, vérifications faites, ma glycémie et ma tension sont normales.
Sont-ils en mesure de soupçonner un AVC ? Je l’ignore. Malgré tout, ils prennent la décision de m’emmener aux urgences. A l’hôpital, je suis installée sur un chariot brancard. James reste près de moi, pendant que les pompiers font leur rapport à l’accueil. Avec le recul, j’arrive tout de même à m’étonner qu’on ne m’ait pas renvoyée chez moi avec deux Doliprane, comme c’est malheureusement le lot de certaines personnes qui se sont trouvées dans mon cas, véritablement en danger. Après tout sur le papier j’avais « juste » un très fort mal de tête, un peu de nausée et quelques fugaces fourmillements dans les mains.
On ne doit cependant pas considérer mon cas comme urgentissime car c’est seulement plus de 2h30 après notre arrivée qu’un médecin vient enfin s’occuper de moi.
23h10 – L’évaluation de la douleur
Le médecin m’invite à lui raconter ce qui s’est passé, et me pose les mêmes questions que ses prédécesseurs. Puis il me demande d’évaluer l’intensité de la douleur que je ressens à la tête sur une échelle de 0 à 10, « 0 étant « vous n’avez aucune douleur » et 10 étant « on vous arrache les yeux » ». Je me sens très loin de 0, c’est sûr et certain. En revanche, je ne sais pas quoi faire du 10 pour la bonne et simple raison qu’on ne m’a jamais arraché les yeux ! C’est vraiment compliqué pour moi de répondre parce que je voudrais être précise afin de l’orienter au mieux dans son diagnostic, mais son échelle ne me parle qu’à moitié.
Si je devais spontanément décrire ma souffrance, je dirais plutôt que j’ai des douleurs d’accouchement dans la tête. Seulement je doute que cette comparaison puisse avoir une quelconque pertinence étant donné que la personne que j’ai en face de moi est un homme. J’envisage alors de mettre en balance les deux propositions : est-ce que douleur d’accouchement vaut arrachage d’œil ? Pas sûre tout de même… Je réponds « 7 ». En fait j’hésite un peu avec 8, mais quitte à ne pas pouvoir être précise, je choisis mon chiffre fétiche !
23h45 – Le diagnostic tombe : AVC
Il m’informe alors que je vais passer un scanner. De cet examen, je n’ai aucun souvenir. Je me rappelle juste l’interne venue m’annoncer le résultat : hémorragie méningée. Au moment où elle prononce ces paroles, ce diagnostic ne veut pas dire grand-chose pour moi, et certainement pas AVC. Devant mon air probablement interrogateur, elle tente une explication plus terre à terre : « il y a eu un petit saignement au niveau de la tête et il va falloir intervenir pour « réparer » le vaisseau endommagé ».
Pour ce faire, elle m’indique qu’il y a deux cas de figure. Le premier, et préférable, est l’embolisation, qui consiste à faire passer un micro-cathéter par l’artère remontant de l’aine jusqu’au vaisseau abîmé. Ce dispositif contient des spires de platine qui vont être introduites dans le sac anévrysmal et venir s’y enrouler afin de l’obturer. Cependant, plusieurs raisons peuvent rendre cette intervention inopportune : la taille de l’anévrisme, son emplacement, sa forme… Si tel est le cas, le neurochirurgien envisage alors une autre solution, à savoir une opération chirurgicale afin de clipper le collet de l’anévrisme. Dans les deux cas, le but est d’empêcher un nouveau saignement.
Un diagnostic, deux versions des faits
Vu la manière dont elle me présente les choses, j’ai l’impression que ce n’est finalement pas si grave. Je lui demande si mon conjoint a été tenu au courant, et justement, à quelques salles de là, on lui explique ce qu’il en est… mais pas vraiment de la même façon. Un médecin lui dit que j’ai fait un AVC, et que même si je semble aller plutôt bien et tenir des propos cohérents, il s’agit d’un cas grave mettant potentiellement mes jours en danger.
Bien sûr, il lui est vivement recommandé de ne pas me donner cette version des faits, et c’est d’ailleurs certainement mieux ainsi. En attendant, il se voit déjà élever Léna tout seul. De mon côté, je pense à elle, bien sûr. Je n’ai même pas eu le temps de la prévenir, je ne sais pas pendant combien de temps je ne vais pas la voir, mais à aucun moment je n’imagine passer Noël sans elle…
Récidive
01h00 – Cinq heures après le début de l’hémorragie, nous avons donc juste un scanner en poche. Ma chance est que, contrairement à l’AVC ischémique [4], l’hémorragie méningée permet que le délai d’intervention optimum de 3h soit théoriquement un peu rallongé. En effet, pour des raisons physiologiques, l’hémorragie s’arrête spontanément après quelques minutes. Cette forme d’AVC n’en reste pas moins une urgence vitale, un second saignement pouvant survenir à tout moment. Son incidence n’est toutefois que de 4% lors des 24 premières heures.
Ma malchance est que j’ai fait partie des 4% de récidivants. Et dans un laps de temps particulièrement court puisque l’anévrisme a de nouveau saigné alors que j’étais aux urgences. Statistiquement, cette récidive hémorragique est plus grave que le saignement initial : il augmente considérablement le risque de mortalité, qui se situe alors autour des 70%. C’est la raison pour laquelle il faut d’une manière ou d’une autre empêcher qu’elle ne se produise.
Mon miracle est que cette hémorragie aussi s’est arrêtée, défiant toutes les statistiques.
5h00 – Panique à bord (du taxi)
Finalement, l’embolisation a été pratiquée dans la nuit même. J’ai été transférée dans un autre hôpital, équipé pour traiter les cas relevant de la neurochirurgie. La seule chose dont je me souvienne, c’est que James a suivi l’ambulance en taxi.
Il ne quittera l’hôpital que vers 4h30 du matin, parce que je lui demande de rentrer : il faut qu’il dorme un peu et qu’il puisse s’occuper un minimum de Léna demain matin avant de la déposer chez la nourrice. Pour l’heure, son fils est venu dormir à la maison afin que Léna ne soit pas toute seule et que notre amie puisse rentrer chez elle. Ainsi, James n’aura pas eu à les prévenir de la situation à ce moment-là. Les seules personnes qu’il a tenté de joindre après avoir eu les résultats de scanner, ce sont mes parents. Il a appelé sur tous les téléphones possibles, et, faute de réponse, a laissé deux messages, un sur chaque téléphone portable.
Il finira par rentrer en taxi. Allez savoir pourquoi, alors qu’il ne se déplace qu’en scooter, il a choisi au dernier moment ce soir-là de venir en transports en commun. Allez savoir pourquoi, la dernière chose que je lui ai dite ce matin-là a été : « N’oublie pas mon casque ». Etrange message pour un AVC à venir… En tous cas, bien lui a pris d’avoir changé d’avis, au moins il n’a pas eu à conduire pour rentrer. Il n’en a pas pour autant été quitte d’émotions fortes. Par sa conduite nerveuse, voire dangereuse, son chauffeur d’un soir a réussi le tour de force de lui faire oublier les heures sombres qu’il venait de vivre. Pendant tout le trajet, il s’est demandé s’il arriverait indemne à la maison. Jusqu’au bout, cette nuit‐là aura été la pire de sa vie.
L’embolisation de l’anévrisme
En ce qui me concerne, de mes premières heures dans le second hôpital, je me souviens uniquement du neurochirurgien. Cet homme m’inspirait confiance, il m’a calmement expliqué ce qu’il allait faire, avant de lancer l’anesthésie générale. Je me souviens aussi de l’infirmière qui était là à mon réveil. Elle m’a demandé ce que je faisais comme études. Sur le coup, je me suis moi-même demandé si elle avait eu des consignes pour me faire passer une sorte de test post AVC afin de vérifier si j’avais bien récupéré toutes mes facultés. Mais non, elle pensait simplement que j’avais largement moins de 38 ans. La deuxième chose qui m’a marquée, c’est lorsqu’elle m’a dit qu’il était « très rare » qu’une hémorragie de cette nature – c’est-à-dire récidivante – s’arrête spontanément.
Je n’aurais finalement pas passé Noël avec ma fille cette année-là, ni le nouvel An d’ailleurs… Exceptionnellement, Léna a quand même été autorisée par l’équipe médicale à venir me voir une fois pendant mes 15 jours d’hospitalisation. Ce fut un moment d’intense émotion, une grande joie de la serrer contre moi, autant qu’une grande tristesse à la voir repartir.
Ce délai d’hospitalisation était néanmoins nécessaire pour trois raisons. Premièrement, il fallait prévenir un risque accru d’apparition de vasospasmes. Il s’agit d’une complication fréquente et grave qui, lorsqu’elle survient, après 3 à 5 jours, peut laisser dans un tiers des cas des séquelles définitives, voire entraîner un phénomène ischémique compromettant le pronostic vital [5]. Deuxièmement, il fallait s’assurer que mon état de santé soit stable et enfin, troisièmement, vérifier que le sang se soit entièrement résorbé dans mes méninges.
Un AVC au-delà des statistiques
Je suis en fin de compte rentrée à la maison sans aucunes séquelles. J’ai repris le travail trois petits mois après l’AVC, le temps tout de même que l’essentiel de ma fatigue disparaisse et que je récupère un sommeil régulier. Le médecin qui m’a examinée à ce moment-là était lui-même surpris de pouvoir me donner une telle autorisation si tôt : « Alors vous, vous avez défié les statistiques dans les deux sens » m’a‑t-il dit. Effectivement, autant je n’avais aucun facteur de risque d’AVC, autant je m’en suis remise complètement et rapidement.
Voilà l’expérience que j’ai vécue le 19 décembre 2013. Ou plutôt voilà la version des faits que je raconte encore aujourd’hui à certaines personnes, en fonction de notre degré de proximité ou de l’ouverture qui se crée, ou pas, dans nos échanges. Si l’on conçoit en général assez facilement qu’étant passée très près de la mort, je puisse maintenant avoir une relation à la vie différente, on n’est pas forcément prêt à entendre plus.
Pour vraiment percevoir l’impact de cette expérience sur ma conscience, un deuxième niveau de lecture est nécessaire. Un niveau qui prend en compte « l’expérience qui s’est produite dans l’expérience ». Un niveau qui nécessite d’ouvrir la porte de la présence.
Notes et références
[1] TOLLE Eckhart, Nouvelle Terre, Québec : Ariane Editions, 2005
[2] Le prénom a été modifié
[3] Le prénom a été modifié
[4] L’AVC ischémique est dû à un caillot sanguin obstruant une artère.
[5] Le neurochirurgien Eben Alexander explique qu’il a « passé deux années à étudier le vasospasme cérébral, une complication très grave de l’hémorragie sous-arachnoïdienne (…) et qui handicape ou tue environ un tiers des patients qui survivent à l’hémorragie elle-même. » (Voyage d’un neurochirurgien au cœur de la conscience, France : Guy Trédaniel éditeur, 2018, p.105)
4 thoughts on “Acte 1 : Remue méninges”
Grazie per il tuo messaggio. Sento piuttosto che questa esperienza è andata avanti da sola e che l’ho solo osservata. Questo è forse ciò che porta lucidità. Sapevo che sarebbe andato tutto bene, il che probabilmente mi ha dato coraggio.
(Merci pour votre message. J’ai plutôt l’impression que cette expérience s’est déroulée d’elle-même et que je n’ai fait que l’observer. C’est peut-être ce qui apporte la lucidité. Je savais que tout irait bien, ce qui m’a sans doute donné du courage).
Un’esperienza davvero drammatica , vissuta con lucidità e coraggio
Bonjour, merci pour votre message. Je n’ai heureusement pas eu de complications par la suite, juste quelques troubles du sommeil pendant les trois mois qui ont suivi. Le médecin m’avait dit que c’était un désagrément courant et que cela finirait par rentrer dans l’ordre, ce qui a effectivement été le cas. Après je ne considère pas que je sois dans des conditions « standards », puisque comme vous l’avez peut-être lu, les circonstances de l’événement ont été exceptionnelles. De plus, je suis suivie en soins énergétiques, je fais aussi un gros travail personnel, je fais de la méditation. Et cela change la perspective avec laquelle je regarde cet événement et par voie de conséquence ma façon de vivre depuis. Cet événement m’a aussi fait toucher, paradoxalement, un état de grâce, une paix et une présence que je n’avais « rencontrées » qu’intellectuellement jusqu’alors. Donc je ne reste pas sur un souvenir négatif, loin de là. Cela m’a aussi ouvert beaucoup de portes en termes de découvertes et d’enseignements.
Ce qui a été capital pour moi et qui m’a aidé dans mon quotidien par la suite a été de faire quelque chose de ce qui m’était arrivé, pour rester en mouvement et non pas figée dans un « souvenir », qu’il soit positif ou négatif.
Je vous souhaite bon courage dans ce que vous traversez actuellement. Je reste disponible pour échanger si vous le souhaitez.
j’ai eu, à quelques détails près, la même expérience que vous il y a à peine trois mois (Mars 2019). J’avoue que je vis, depuis, avec la hantise d’une récidive.
Je voudrais savoir si depuis votre sortie de l’hôpital vous avez eu des complications qui se sont manifestée plus tard ( des mois ou des années plus tard)
Mes remerciements